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MŒURS DES AMÉRICAINS.

considérée comme un affront par tout le voisinage. J’étais ainsi exposée à me voir troublée à chaque instant et de la manière la plus déplaisante par des gens que souvent je n’avais jamais vus, et dont plus souvent encore les noms m’étaient absolument inconnus.

Les indigènes, accoutumés à cet usage, emploient pour le supporter, une méthode que je n’ai jamais pu prendre sur moi d’appliquer. Vingt fois j’ai vu des personnes de ma connaissance ainsi envahies par des visites, sans avoir l’air d’en être le moins du monde troublées ; elles continuaient leur occupation ou leur conversation avec moi, à-peu-près comme si de rien n’eût été. — Quand le visiteur entrait, elles lui disaient : « Comment vous portez-vous ? » et lui secouaient la main. — « Assez bien ; et vous ? » était la réponse du visiteur, et là se bornaient les civilités. Si le nouveau venu était une femme, elle ôtait son chapeau ; si c’était un homme, il gardait le sien ; puis, prenant possession de la première chaise qu’il trouvait, il s’y établissait et restait là une heure sans dire un seul mot. À la fin il se levait tout-à-coup en disant : « Il est temps que je m’en aille, je crois. » Puis, après une nouvelle poignée de main, il s’en allait avec l’air parfaitement satisfait de la réception qu’on lui avait faite.

« Il n’était pas en mon pouvoir de conserver cette philosophique tranquillité. Je ne pouvais tant qu’on était là, ni lire, ni écrire, et je me figurais toujours que je devais entretenir la personne qui m’honorait de sa visite. Je vais donner au lecteur le procès-verbal d’une de ces conversations, rédigé immédiatement après l’événement ; ce sera un échantillon du ton et des idées des visiteurs qui me venaient. Cette fois c’était un laitier.

« Eh bien ! vous voilà donc maintenant loin de la vieille terre. Ah ! vous avez bien des choses à voir ici, j’imagine.

— J’espère effectivement en voir quelques-unes.

— C’est un fait. — Ah ! çà, je pense bien qu’il n’y a pas assez de place dans votre petite île, pour qu’il y croisse du blé d’Inde (maïs) de la beauté de celui que vous voyez ici.

— Il n’en croît point du tout, monsieur.

— Est-il possible ! Alors je ne m’étonne plus des terribles his-