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village et la cité, la province et l’état, créant les mœurs et les lois, les habitudes et les principes, tout, jusques aux vertus et aux vices, voilà le spectacle que présente l’union américaine. Quand des philosophes et des hommes d’état, curieux de connaître ce que peut produire le principe démocratique appliqué dans toute sa pureté et se développant sans obstacles, auraient rêvé à plaisir les meilleures conditions d’une grande expérience politique, ils n’auraient pas mieux trouvé. Mistress Trollope est allée voir cette expérience ; elle y est allée prévenue et pleine d’enthousiasme, elle en est revenue déconcertée et pleine de dégoût. La vieille Tamise qui l’avait vue s’embarquer donnant la main à miss Wright, l’a vue débarquer prête à la donner à lord Wellington. Elle était partie ultra-wigh, elle est revenue ultra-tory.

Aussi son livre a été une bénédiction pour les anti-réformistes. L’église et l’état ont tressailli de joie. Tous les vieux chasseurs de renards de l’Angleterre ont battu des mains, et la Quarterly Review a presque réimprimé ses deux volumes, dans l’énorme article qu’elle leur a consacré. Depuis le spirituel Voyage du capitaine Hall, la presse n’avait pas donné une si grande joie à l’aristocratie anglaise. Il n’y a pas une de ses idées, pas un de ses intérêts, pas une de ses haines qui ne se trouve servie ou caressée par cette production. Et dans quel moment lui est arrivée cette bonne fortune ? au plus chaud d’une lutte décisive entre le principe démocratique et elle ; entre deux défaites : le lendemain de la révolution de juillet et la veille du triomphe du bill de réforme. Qu’on juge du succès de mistress Trollope et de son livre dans les salons aristocratiques de Londres ! Ce succès a été étourdissant ; il a dû surprendre l’esprit sensé et effrayer la modestie pleine de réserve de l’aimable auteur. Elle venait d’admirer les extravagances de l’esprit démocratique en Amérique ; elle a pu admirer les folies de l’esprit aristocratique en Angleterre. Il est possible qu’au moment où nous écrivons, elle n’admire plus rien, si ce n’est les lois immuables de la nature humaine qui poussent aux mêmes extrémités les principes les plus opposés, et la providence de Dieu qui de la lutte de ces principes