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MŒURS DES AMÉRICAINS.

mars 1830. Trois jours de navigation sur l’Ohio, les conduisirent à Wheeling, dans l’état de Virginie, au pied des Alleghanys. Elle traversa ces belles montagnes qui séparent le bassin du Mississipi des eaux de l’Atlantique, et divisent en deux régions distinctes le vaste territoire de l’Union. Elle avait passé deux ans dans celles de l’ouest, elle passa quinze mois dans les cités florissantes des états de l’est. Ils furent employés à visiter Baltimore, Washington, Philadelphie, New-York, Albany, la chute célèbre du Niagara et les rives du lac Érié. Enfin une lettre de son mari l’ayant autorisée à quitter un pays qui lui plaisait peu, elle s’embarqua à New-York au mois de juillet 1831, pour revenir en Angleterre, où son livre nous prouve qu’elle est heureusement arrivée, et où nous sommes convaincu qu’elle n’a pris aucune part aux diverses assemblées populaires qui ont si puissamment contribué au succès du bill de réforme.

En effet mistress Trollope n’a point rapporté de l’Amérique le goût des institutions américaines. Il n’y a pas une page de son livre qui puisse causer la moindre peine au tory le plus encroûté des trois royaumes, et il y en a des centaines que lord Eldon lui-même voudrait avoir écrites. La cause de l’église et de l’état peut moissonner des argumens dans le livre de notre voyageuse ; elle lui en apporte en foule, du pays même où il n’y a ni état ni église, où chacun est à soi-même son pape et son roi et tient à l’être. Dans ces forêts à peine ouvertes par la hache qui bordent le Mississipi, dans ces clairières déjà plus vastes et plus rapprochées qui s’étendent au revers occidental des Alleghanys, sur cette large plage, enfin, qui se montre toute entière au soleil entre ces montagnes et l’Atlantique, elle a vu le principe démocratique régner en maître, pur de tout mélange, libre de tout frein, développant à son aise tout le bien et tout le mal, qui est en lui. Là point de voisins menaçans qui le forcent à des concessions ; point d’aristocratie puissante qui l’oblige à l’hypocrisie ; point de vieilles habitudes qui le condamnent à la politesse et à la réserve. La nature humaine et lui, jetés sur une terre vierge et sans passé, isolée comme une île et grande comme un monde, organisant sur cette terre la famille et la tribu, le