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UN ADIEU.

Après ce peu de mots, nous demeurâmes quelques instans silencieux. La comtesse paraissait agitée. Elle ne semblait plus néanmoins bien impatiente de recevoir ma confidence. Peut-être n’était-elle pas pressée d’apprendre de ma bouche ce qu’elle avait déjà deviné sans doute, car elle le devait bien savoir. Quel autre grand malheur qu’un ordre de départ, avait pu m’arriver ? Et ce malheur-là, ignorait-elle que j’en étais depuis long-temps menacé ? — Je n’osais cependant pas non plus moi-même lui annoncer que mon heure était venue.

Ce silence était pénible. J’essayai de le rompre une seconde fois.

— Vous qui ne marchez jamais, Mercedès, lui dis-je, vous devez être bien fatiguée ce soir de votre promenade.

— J’avais en effet oublié que j’étais lasse, reprit-elle, souriant tristement, vous m’y faites songer.

Puis elle se tut. Il y eut un nouveau silence.

Cependant le jour baissait. Le vent devenait plus vif.

— Vous m’allez trouver capricieuse, mais j’ai vraiment presque froid maintenant, me dit la comtesse, voulez-vous bien, mon ami, fermer la croisée ?

Je me levai vite, et courus fermer la croisée. De petits rideaux de mousseline étaient tendus sur ses vitres : le salon se trouva tout-à-coup plongé dans l’obscurité.

Je demeurai long-temps le front appuyé contre l’espagnolette de la fenêtre. Mon front brûlait, ce fer était glacé, — cela me faisait du bien. Puis je regardais machinalement dans la rue à travers les carreaux, la foule des promeneurs remontant du Prado vers la Puerta del Sol.

La pleine lune s’était cependant levée et planait dans le ciel au-dessus des jardins du Buen-retiro. Sa douce et blanche lumière se répandant par toute la ville, l’illuminait comme un nouveau jour. Les longs filets de dalles polies qui coupent parallèlement le pavé de la rue d’Alcala, vivement frappés par cette clarté, brillaient surtout singulièrement, et ressemblaient à des ruisseaux d’argent. Mes yeux en étaient éblouis et fatigués, je