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que pas, se plaignant de ce que je la faisais marcher avec une insupportable lenteur. Elle eût, je crois, couru, si je n’avais en quelque façon usé de force pour l’en empêcher. — À peine ses pauvres petits pieds pouvaient-ils cependant la soutenir. Mais c’est qu’il lui tardait bien fort de savoir ce qui m’attristait, et de me consoler. — Cette femme si faible et si frêle, cette adorable enfant, elle avait tant de force et de courage dans le cœur !

Lorsque nous fûmes arrivés, la comtesse me laissa seul quelques instans dans le salon. Je m’y promenais cependant en long et en large, jetant les yeux à droite et à gauche, regardant avec tristesse chaque meuble, chaque tableau, leur disant adieu comme à des amis, prenant congé de ces tapis que Mercedès avait foulés, de ces boîtes à ouvrage, de ces vases de fleurs, de ces jolis riens dont je l’avais vue si souvent entourée, — de tout ce que je laissais près d’elle !

La comtesse vint bientôt me retrouver. Elle n’avait pris que le temps de se faire déchausser, et de passer une robe blanche. Elle avait aussi relevé à la hâte ses cheveux, que la fraîcheur du soir avait défrisés, et les avait rejetés négligemment derrière ses tempes. Un petit fichu de tulle blanc et brodé, dont la pointe retombait sur son grand peigne d’écaille, venait par les deux bouts se nouer sous son menton.

Ayant fait défendre sa porte pour toute la soirée, la comtesse s’était jetée sur son petit canapé bleu, moi je m’étais assis à côté d’elle, dans un grand fauteuil très bas.

Huit heures sonnèrent au couvent de la Merci. Il faisait jour encore.

Une fenêtre donnant sur la rue d’Alcala, était ouverte devant nous. Un vent frais qu’elle laissait pénétrer dans le salon, venait souffler au visage de la comtesse, et agitait sur sa tête la pointe de son fichu.

— N’avez vous pas froid, lui dis-je ? Voulez-vous que je ferme cette croisée ?

— Non, John, à moins qu’elle ne vous gêne, laissez-la ouverte au contraire, cet air me fait du bien.