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train et qu’il prend le ciel pour une camisole bleue, il se met à chanter de la double poésie qui est bien belle. » Je voulus lui faire expliquer cette dernière expression, mais mon petit tailleur se contentait de sautiller et de dire : « De la double poésie est de la double poésie ! » Enfin, j’en tirai qu’il voulait parler de poésies en rimes redoublées, c’est-à-dire de stances. À force de mouvement et de lutter contre le vent contraire, mon tailleur se trouva fatigué. Il se plaignit d’avoir les pieds enflés, de ce que le monde était beaucoup trop vaste, et enfin il se laissa couler au pied d’un arbre d’où il refusa de bouger.

Les montagnes devenaient de plus en plus escarpées, les bois de pins s’agitaient au-dessous de moi comme une mer de verdure. La nature sauvage de la contrée était embellie par son unité et sa simplicité. La nature, comme les bons poètes, n’aime pas les transitions heurtées. Les nuages, sous quelques formes bizarres qu’il nous apparaissent quelquefois, ont un coloris blanc ou gris qui s’harmonise avec le bleu du ciel et la verdure de la terre. Tout comme un grand poète, la nature sait aussi produire les plus grands effets avec les plus chétifs moyens. Sans doute ce n’est partout qu’un soleil, que des arbres et des fleurs et de l’eau : l’âme anime tout.

Il est vrai que si l’âme manque dans le cœur du spectateur, le tout prend un bien maigre aspect. Le soleil n’est plus qu’une planète dont on peut calculer l’étendue et la circonférence ; les arbres, bons tout au plus pour le chauffage ou la construction ; les fleurs faites pour être classées dans un herbier par espèces ; et l’eau une fort mauvaise chose, humide et malsaine.

J’arrivai à l’auberge de la Couronne à Clausthal où l’on mange de ces bons harengs fumés, qu’on nomme Buckings, du nom de l’inventeur Willhelm Bucking, qui mourut en 1447, et que Charles-Quint honorait tellement à cause de cette découverte, qu’il se rendit, en 1556, de Middelbourg à Boewlid en Zélande, uniquement pour visiter la tombe de ce grand homme. Qu’un mets a de goût lorsqu’on a une notice historique à débiter en le mangeant !

J’étais heureux en effet ; seulement le café me manqua, atten-