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REVUE. — CHRONIQUE.

jolie main blanche ait coupé et feuilleté leurs jolies pages blanches ! Cela est triste !

Nous ne nous chargeons pas assurément d’exhumer tous ces morts, de ranimer tous ces mourans. Mais parmi ces livres, quelques-uns cependant sont nés très viables. Nous constaterons leur existence. Il en est quelques autres dont nous ferons seulement l’oraison funèbre.

Rendons d’abord ces tristes honneurs au Charette[1] de M. Bergounioux : aussi bien, ce dont sans doute on lui saura gré dans un autre monde, en bon catholique et en bon Vendéen, Charette semble-t-il s’être résigné dès sa naissance à mourir. Sa couverture, revêtue d’une vignette représentant une croix blanche sur un drap noir, figurait symboliquement et par anticipation ses funérailles. Qu’il repose en paix. Il annonçait bien quelques dispositions heureuses ; mais les forces lui manquaient vraiment. Il ne pouvait vivre. Ses frères futurs auront peut-être meilleure chance.

Parlons d’un autre mort-né, de l’Échafaud de M. Bignan[2]. Qui ne connaît M. Bignan ? M. Bignan a remporté des prix pour le moins dans toutes les vingt académies dont est membre M. Viennet. M. Bignan est un accapareur. Il entasse dans ses greniers des moissons amoncelées de palmes et d’églantines ; il s’est attribué le monopole des couronnes. Eh bien ! voyez-vous, je gage que l’Échafaud de M. Bignan était originairement un discours en vers sur la peine de mort, destiné à remporter le prix dans quelque concours de province ; mais le discours n’aura pas été fini à temps ou aura été envoyé trop tard ; alors M. Bignan, ne sachant plus qu’en faire, et ne voulant point qu’il lui restât sur les bras, n’en trouvant pas meilleur emploi d’ailleurs, aura mis sa poésie en prose, ce qui ne demandait pas grand’-peine, et fabriqué le roman sentencieux, philosophique et déclamatoire dont il s’agit. L’intention du livre était cependant excellente, et M. Bignan mérite d’être loué du moins pour s’être

  1. Chez Eugène Renduel.
  2. Chez Madame Charles Béchet.