Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/585

Cette page a été validée par deux contributeurs.
579
LETTRES PHILOSOPHIQUES.

magne des étudians qui s’étaient mis à courir les grandes routes pour imiter les brigands de Schiller ? Les plus singulières erreurs peuvent se loger un instant dans des têtes vives et jeunes, mais elles en sortent promptement. Cette manie qui vous avait un peu indisposé, passera ; que dis-je, elle est passée. Connaissez mieux, monsieur, la génération qui se prépare ; elle a quelque fierté dans le cœur ; elle veut travailler à une œuvre qui lui appartienne ; elle laisse au passé sa responsabilité ; elle se sent pure de tout contact avec ce qui n’a pas été bon, et dans ses rangs vous ne trouverez personne qui veuille se condamner à l’infériorité dans l’imitation du crime.


Maintenant, monsieur, je voudrais vous faire voir nettement le lien qui unit notre première révolution à la seconde ; comment elle en procède, comment elle en est la seconde phase. D’abord veuillez comprendre que depuis 1789 la France ne vit que sur le principe et les idées de la révolution française, plus ou moins, suivant les époques ; mais elle n’a véritablement d’autres mœurs politiques que les règles et les maximes établies depuis sa grande insurrection : c’est le seul pays de l’Europe qui ait si complètement rompu avec le passé, qu’il ne puisse avoir d’autres pratiques sociales que celles inventées depuis à-peu-près quarante-trois ans. Quarante années, voilà toute son antiquité ; le peuple ne connaît pas d’autre histoire : or pendant ce temps si court et si rempli, le génie de la révolution française n’a jamais véritablement rétrogradé ; il a trouvé des embarras sur sa route, il a pu s’arrêter quelques instans, mais toujours il est resté en possession du sol et du champ de bataille ; il a commencé par poser des principes généraux, il s’est défendu contre l’Europe, il a proscrit ses ennemis, il a cherché un refuge contre l’anarchie de ses propres enfans dans l’éclat d’un despotisme nécessaire, qui sut à-la-fois enchaîner sa pensée et enraciner ses intérêts dans la terre de France ; enfin il semble vaincu. Eh bien ! même dans sa défaite ses vainqueurs seront obligés de le flatter, que dis-je ? de lui obéir ; qu’est-ce que la charte de 1814 si ce