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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

qui ne sont plus ; néanmoins, dans les regrets inconsolables que vous m’exprimez sur la disparition de votre illustre et vieil ami, le plus grand de vos grands hommes, il se trahit, permettez-moi de vous le dire, quelque effroi sur l’avenir de votre pays. Il m’a semblé que vous pleuriez plus que Gœthe ; vous sentez avec amertume s’évanouir dans le passé cette poétique et savante Allemagne, dont Klopstock et Kant avaient inauguré la gloire. Effectivement Niebuhr a vécu, Hegel a succombé, Gœthe n’est plus. Les géans sont couchés. Qui les remplacera ? Que va-t-il advenir ? Quelque chose d’inconnu, d’incertain, de moins grand et de plus turbulent. Vous craignez, je le sens, les hommes et les évènemens nouveaux ; enfin vous aimeriez mieux n’étudier les révolutions qu’à quelques siècles de distance.

Bien qu’un peu familier avec la civilisation morale de l’Allemagne, monsieur, je n’en sais pas assez pour préjuger exactement le moment où il lui conviendra d’échanger ses études contre les premiers essais d’une vie plus active ; mais, si ce temps était proche, ne faudrait-il pas se résigner ? Ne devons-nous pas nous accommoder à notre siècle, encore qu’il puisse parfois déranger la délicatesse de nos loisirs et de notre recueillement ? N’est-il pas même nécessaire, ne serait-ce que pour mieux conduire sa vie, de reconnaître le plus tôt et le mieux possible le caractère du temps où l’on est jeté, afin d’éviter les mécomptes, de se faire une raison et de marcher soi-même, que bien que mal, sans se donner la mauvaise réputation d’un réfractaire ou d’un traînard ? Notre siècle n’est plus tout-à-fait un jeune homme : il a trente-deux ans ; il doit sentir le besoin de bien savoir ce qu’il veut, et de chercher les moyens de remplir sa vocation.

Aussi, monsieur, dès aujourd’hui je m’engage avec vous dans des démonstrations nouvelles ; j’abandonne la philosophie de la restauration, je ne vous en parlerai plus, je me trouve heureux d’avoir liquidé définitivement ce petit passé. À d’autres choses ; songeons au présent, dorénavant je vous entretiendrai de ce qui nous intéresse et nous occupe maintenant ; je veux causer avec vous des impressions diverses par lesquelles ici a passé l’opinion ; vous êtes curieux aussi des théories qui se sont manifestées de-