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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

viens. Envisagé sous ce point de vue, Pelham serait encore un livre inestimable ; car il est tel chapitre dont la lecture attentive et répétée peut former un jeune homme à l’impertinence, au vice et à l’oisiveté, mieux et plus sûrement que trois duels et six procès de criminal conversation. On y apprend l’art si difficile et si rarement impuni d’éloigner d’une femme à laquelle on veut adresser sans témoins, au milieu de quatre-vingts personnes, des paroles qu’elle ne peut accueillir que par la rougeur ou la moquerie, tous ceux qui l’environnent, en imaginant pour elle, pour sa grâce et sa beauté, pour son esprit et sa jeunesse, des complimens multipliés qui sont autant d’insultes détournées, mais sensibles, pour ses interlocuteurs.

Mais pour peu qu’on poursuive et qu’on soutienne la lecture entière, sans permettre à ses yeux et à son cerveau de broncher un seul instant, si l’on veut bien gouverner sa pensée comme un cheval ombrageux et rétif, je défie qu’on puisse, en dernière analyse, attribuer à M. Bulwer une autre intention que la satire et la comédie.

Oui l’aristocratie forme le fond de Pelham, mais l’aristocratie prise par le côté qu’aurait pu choisir Juvénal ou Molière.

Or, comment est-il arrivé que ce livre excite en Angleterre une si réelle et si vive sympathie, tandis que le même sujet, traité avec le même talent, si la scène et le héros étaient placés à Paris, n’aurait aucune chance de succès ?

C’est que l’aristocratie anglaise, malgré le rude assaut qu’elle soutient maintenant, et qui menace de l’abattre et de joncher la terre de ses débris, a des racines profondes dans l’histoire et la constitution du pays ; c’est que malgré le péril de mort où l’a jetée sa récente conduite, elle a su depuis l’avènement de la maison de Hanovre, dans la plupart des questions et des accidens qui l’intéressaient personnellement, associer le pays à ses intérêts, ou rattacher à sa cause l’indépendance et la gloire nationales ; c’est que, sans vouloir remonter bien haut, nous pouvons suivre sa destinée depuis cent soixante-quatre ans, compter ses batailles et ses victoires, et nous la verrons toujours active, empressée à la guerre, soit qu’il s’agisse de défendre le sol