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un trône d’or, entouré de ses grands à droite et à gauche, et d’une garde d’Africains noirs, leurs cimeterres tirés.

Cependant la foule continuait à affluer dans la caverne, et tous ces milliers d’hommes passaient un par un devant le trône du roi, chacun se courbant profondément pour lui rendre hommage. Il y avait, dans cette multitude, des personnages revêtus de robes d’étoffes magnifiques, et enrichies de précieux joyaux. D’autres étaient couverts d’armures brunies et émaillées, tandis qu’un grand nombre n’avait au contraire que de misérables vêtemens sales et déchirés, et des armures faussées, ébréchées et couvertes de rouille.

J’avais jusque-là gardé le silence ; car, ainsi que le sait fort bien votre excellence, il ne convient pas qu’un soldat soit trop questionneur : cependant je ne pus me taire plus long-temps.

— Camarade, dis-je alors au Maure, que veut dire tout ceci, je vous prie ?

— C’est un grand et profond mystère, répondit-il. Apprends, ô chrétien, que tu vois devant toi la cour et l’armée de Boabdil, le dernier roi de Grenade.

— Que me dites-vous là ? m’écriai-je. Boabdil et sa cour furent exilés du pays il y a quelques centaines d’années, et s’en allèrent tous mourir en Afrique.

— C’est ainsi que le rapportent, il est vrai, vos chroniques menteuses, répliqua le Maure ; mais apprenez que Boabdil et les guerriers qui défendirent avec lui Grenade les derniers, ont été tous renfermés dans la montagne par un puissant enchantement. Quant au roi, quant à l’armée, qui sortirent de Grenade au moment de sa reddition, ce n’était qu’une procession d’esprits, de fantômes et de démons, auxquels il avait été permis d’apparaître sous la forme de Maures, pour tromper les souverains chrétiens. Je vous dirai plus, mon ami, c’est que l’Espagne entière est soumise au pouvoir des enchantemens. Il n’y a point de montagne, point de tour solitaire dans les plaines, point de caverne, de château ruiné sur les collines où ne reposent, au fond de caves profondes, des guerriers endormis depuis des siècles, et qui ne se pourront réveiller que lorsque seront expiés les