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LITTÉRATURE AMÉRICAINE.

ment au cartel. Alors l’homme de loi, si sémillant et si satisfait de lui-même quelques heures auparavant, fut tiré de son cachot plus mort en vérité que vif. Toute sa finesse et toute sa légèreté s’étaient sans doute évaporées. L’effroi même avait, dit-on, rendu ses cheveux gris. Son regard était triste et atterré, comme s’il eût encore senti la corde lui serrer le cou.

Le vieux gouverneur croisa son seul bras avec la manche de celui qu’il n’avait plus, et considéra quelques instans le greffier avec un sourire d’une dureté inexprimable.

— Désormais, mon ami, lui dit-il, modérez un peu le zèle que vous mettez à envoyer les autres au gibet. Ne soyez jamais trop sûr de votre personne lors même que vous avez la loi de votre côté ; — et surtout prenez bien garde à la manière dont vous jouerez une autre fois vos tours à un vieux soldat.

LE GOUVERNEUR MANCO ET LE SOLDAT.

Le gouverneur Manco, qui déployait un certain appareil militaire à l’Alhambra, se sentit à-la-fin piqué des plaintes continuelles élevées contre sa forteresse, qu’on accusait d’être devenue un repaire véritable de contrebandiers et de voleurs. Le vieux potentat prit donc soudainement la détermination de faire cesser cet abus réel, et, se mettant vigoureusement à l’œuvre, il purgea de toutes leurs nichées de vagabonds et son château et les caves de Bohémiens qui criblent les collines environnantes comme les alvéoles d’une ruche.

Par une brillante matinée d’été, une patrouille, composée du vieux caporal bourru qui s’était si fort distingué dans l’affaire du greffier, d’un trompette et de deux soldats, se trouvait arrêtée sous les murs du jardin du Généralife, près de la route qui descend de la montagne du Soleil, lorsqu’ils entendirent le bruit des pas d’un cheval, et une voix mâle chantant avec assez de rudesse, mais néanmoins sans détoner, une vieille chanson de guerre castillane.