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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.


CHAPITRE XXVIII.
Le réfectoire.

On m’avait enfermé, selon l’usage, avec la gracieuse prisonnière ; comme je tenais encore sa main, les verroux s’ouvrirent, un guichetier cria : Bérenger, femme Aignan ! — Allons ! Eh ! au réfectoire ! Ho ! hé !

— Voilà, me dit-elle avec une voix bien douce et un sourire très fin, voilà mes gens qui m’annoncent que je suis servie.

Je lui donnai le bras, et nous entrâmes dans une grande salle au rez-de-chaussée en baissant la tête pour passer les portes basses et les guichets.

Une table large et longue, sans linge, chargée de couverts de plomb, de verres d’étain, de cruches de grès, d’assiettes de faïence bleue ; des bancs de bois de chêne noir, luisant, usé, rocailleux et sentant le goudron ; des pains ronds entassés dans des paniers ; des piliers grossièrement taillés, posant leurs pieds lourds sur des dalles fendues, et supportant, de leur tête informe, un plancher enfumé ; autour de la salle, des murs couleur de suie, hérissés de piques mal montées et de fusils rouillés, tout cela éclairé par quatre gros réverbères à fumée noire, et rempli d’un air de cave humide qui faisait tousser en entrant : voilà ce que je trouvai.

Je fermai les yeux un instant pour mieux voir ensuite. Ma résignée prisonnière en fit autant. Nous vîmes, en les ouvrant, un cercle de quelques personnes qui s’entretenaient à l’écart. Leur voix douce et leur ton poli et réservé me firent deviner des gens bien élevés. Ils me saluèrent de leur place et se levèrent quand ils aperçurent la duchesse de Saint-Aignan. Nous passâmes plus loin.

À l’autre bout de la table était un autre groupe plus nombreux, plus jeune, plus vif, tout remuant, bruyant et riant ; un