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DE L’ART EN ALLEMAGNE.

siècle qui se meurt. Toute préoccupée du présent, cette école n’a plus aucun des désintéressemens de celles qui l’ont précédée, elle est avide de réforme et de bruit politique autour d’elle. À la façon d’un chant populaire que tout le monde répète, l’art se partage entre une foule de poètes sans noms ; avant de se personnifier de nouveau dans une seule vie, il s’ajourne jusqu’à ce que l’état, en se recomposant, lui ait cette fois donné le signal. Il est évident qu’un peu du levain de la France a pénétré dans le cœur et l’avenir de l’Allemagne. Autant nous avons emprunté d’elle, autant elle a pris de notre humeur. À son tour, elle veut savoir quelle joie c’est de démolir son passé, et si le plaisir est vraiment grand pour qui jette à pleines mains sa propre poussière aux vents. Les rois de la pensée sont détrônés dans leur génie, après eux les rois du peuple sous leur dais. Pour donner, lui aussi, à sa manière son avertissement de mort au monde politique, l’art immole par avance la meilleure de ses gloires, et abat dans son champ, comme Tarquin, ses pavots les plus hauts.

Mais que servent les symboles, mon Dieu, si le pouvoir en Europe a partout le vertige ? Tout signe est mort, toute langue est à bout ; puisque c’en est fait, et qu’il ne reste plus rien à dire, courage donc, sur vos trônes, nobles rois et reines, hâtez-vous, amusez-vous, votre enivrement fait toute notre fête. Votre escalier est de pierre, la rampe est de bronze ; montez sans rien craindre, d’un degré plus haut, chacun dans votre égarement. Rois légitimes, rois constitutionnels, rois Guelfes et Gibelins, rois en exil, rois au pinacle, de vos châteaux, de vos vaisseaux, de vos tours ensorcelées, venez vous asseoir à votre repas de Balthazar ; la table est longue, la nappe est mise. Remplissez tous votre verre de ce vin de colère qui murmure dans sa coupe, comme le bruit d’une ville qui s’émeut. Encore ! encore ! Oh ! les hommes sages qui ne font que mouiller leurs lèvres ! oh ! les hommes réfléchis qui ne finiront jamais ! Buvez donc, mes chers seigneurs ; c’est du pur vin de ma treille, je vous le jure. Que ceux qui ont un sceptre frappent sur le bord de la table, que ceux qui ont une couronne l’abaissent sur leurs yeux, en guise