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est l’idée politique de Goërres, idée qui pèche au fond plutôt par le manque que par le trop d’audace. Que sert de mettre debout l’orgueil national pour lui dire : Courbe ta tête sous l’aube du vieux catholicisme ! Il s’en va, lui, comme le maître des Huns, à la rencontre de Rome, et il manque aussi là sa fortune, au même endroit, pour avoir tourné bride devant la crosse du chef de la ville des morts. Qu’a-t-il donc vu pour faire ainsi rebrousser son projet en chemin ? Quand il fallait être réformateur et prophète et qu’il en avait le cœur, qui lui a lié la main ? Dites-moi donc, vous qui le savez, je vous en prie, quelle si grande merveille est cachée sous cette ruine de l’église pour que des hommes aussi forts que celui dont je parle, ne la puissent toucher sans en rapporter sous leur manteau le tremblement et la peur d’un enfant ! Voilà Goërres, le fier Sicambre, qui a vu le Vatican. Il a plié le genou, lui, l’audacieux ! à présent sa fortune est finie ; personne ne le connaît plus. Il s’en va seul, il retourne seul en arrière, sans étoile et sans guide, dans son génie orageux, lui si vanté, si aimé, si idolâtré, à présent si méconnu, si délaissé, si lapidé par son propre pays, qui ne pardonne pas plus que le monde à qui le sert, le refait, le trouble ou le ruine à demi.

De tous les prosateurs de son pays, Goërres est peut-être celui qui est le plus Allemand sans mélange. On peut retrouver dans Goëthe la clarté limpide de Voltaire, dans Herder le repos de Buffon. Les chefs de cette école se sont tous appliqués à modérer, par l’art, l’exubérance de leur langue virginale. Goërres est un des premiers qui ait mis son effort à exagérer encore cette inculte indépendance. Emporté qu’il est par un idiome indompté, qu’il ne conduit plus, qu’il ne régit plus, ne fermez pas la barrière à ce Mazeppa avant qu’il soit rentré dans les traditions échevelées et dans la poésie sauvage de son peuple au berceau. C’est le Jean-Paul de la science et de la philosophie, la végétation désordonnée d’une forêt primitive, où tout germe, où tout meurt, où tout s’entasse à-la-fois, les troncs blancs des chênes centenaires, les palmiers nés d’hier que la fourmi courbe sous son pied, les carcasses des crocodiles et des serpens du dé-