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DE L’ART EN ALLEMAGNE.

ces armées, qu’il avait exaltées si haut, n’avaient rapporté dans leurs sacs, de toutes leurs batailles, que ce triste plagiat et ces couronnes de laiton, et qu’il fallait que l’Allemagne se mît encore une fois sur sa porte à mendier en politique le pain du reste de l’Europe : oh ! alors il répudia ces demi-libertés, il démasqua ces tristes joies, il jeta le gant à ces bourgeoises conquêtes où s’entravait et se dénaturait à ses yeux la mission de son pays. Les querelles du régime représentatif et sa chétive condition ne lui semblèrent qu’un jouet posé là par hasard pour amuser un moment les larges destinées de l’Allemagne. Retrouver et refaire, après Luther, l’unité des races germaniques, et les pousser de nouveau dans l’histoire comme un cavalier tout armé, c’était là, pour lui, la question. Mais quel serait le lien de ce faisceau de langues et de peuples ? La royauté constitutionnelle, étroite et impuissante, divisait tout, morcelait tout. Un principe religieux pouvait seul rassembler pour jamais ces membres des fils de Cadmus semés sur chacune des grandes routes de l’Europe ; où était-il donc ce principe ? Goërres crut qu’un catholicisme renouvelé à la source des traditions du genre humain aurait cette puissance. Dès cette heure, il se mit en guerre avec tout le présent. Il fit le procès à la réforme qui avait gaspillé son peuple, et au libéralisme qui avait achevé la réforme ; il conçut au profit de l’Allemagne une papauté révolutionnaire, qui, assise sur le corps de l’Autriche, exercerait pour le nord cette puissance de cohésion que la papauté du moyen âge avait exercée sur le midi ; il provoqua une dictature de nationalité à tout prix ; il appela une restauration religieuse, un Napoléon mitré, un Luther oriental, pour détruire l’œuvre du Saxon. Entre ses mains, la liberté allait se perdre dans la foi, comme chez nous elle s’était un jour perdue dans la gloire. En voyant autour de lui tous les peuples entamés au dedans, et qui s’ouvraient nonchalamment au premier occupant, il voulut, à la manière d’un législateur asiatique, murer le génie de l’Allemagne. Avant de l’envoyer, novice et imberbe, à la conquête de l’avenir, pour la raidir à sa haute discipline, il l’aurait volontiers, après Moïse, amusée quarante ans dans le désert. Telle