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c’est le martyr et l’hostie du panthéisme. Partout où un principe succombe, il se met à sa place, pour le soutenir seul, et se faire écraser sous ses ruines. Il traite les idées comme les chevaliers faisaient les veuves et les orphelins. Il les prend sous sa protection, dès qu’il les voit assez nues et délaissées ; peuples ou rois, il ne les connaît plus dès qu’il les a couronnées. Il est jacobin, il est absolutiste, il est prêtre, il est démagogue, il est papiste, il est ultramontain, il est patriote, selon que l’une de ces causes faiblit, et tout cela à un degré où personne ne l’a jamais été. C’est un héros qui épuise dans son âme les passions sociales et cosmopolites, comme d’autres font des passions individuelles, avant de remonter tout vivant à son Dieu à lui, le plus vaste, le plus abstrait, le plus visible, le plus obscur, le plus éblouissant qu’un poète ait chanté. Pas un homme dans son pays n’a plus fait ni plus souffert pour l’indépendance, et pas un homme n’a été plus haï au nom de l’indépendance. Par une combinaison que l’on ne peut rencontrer ailleurs, il unit l’énergie d’un montagnard de la Convention aux divines illuminations d’un alexandrin ; il y a en lui du Danton et du Plotin. Pendant huit ans, il a été mis par la Sainte-Alliance au ban de l’Allemagne ; et c’est lui qui disait, dans son patriotisme asiatique, en parlant de l’infidélité de l’Alsace ; « Brûlez Strasbourg, et ne laissez debout que la flèche de sa cathédrale pour l’éternelle vengeance des peuples allemands. » À cette imagination héroïque, le mouvement de l’invasion avait apparu comme le signal d’une nouvelle ère sociale pour le genre humain. Mais, de cette épopée sanglante, quand il vit sortir un jour, confus et dépenaillé, ce haillon d’à-présent, qu’on appelle monarchie constitutionnelle ; quand il vit tout ce sang, tout ce bruit, toute cette gloire, tous ces peuples, aboutir à ce pauvre oripeau, dont il sentait déjà la chute ; quand il vit que

    lemagne ; Introduction au Lohengrin ; un volume d’Aphorismes ; la Physiologie universelle ; Leçons d’histoire générale ; l’Europe et la Révolution ; une foule d’articles dans les recueils littéraires et politiques, où ce grand esprit s’est trop éparpillé. Depuis plusieurs années, Goërres est occupé d’une histoire des traditions du genre humain.