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DE L’ART EN ALLEMAGNE.

moment, le principe de l’art fut aussi changé chez elle. La grande école dont nous avons parlé plus haut, avait eu le temps d’accomplir tout ce qu’elle avait à faire. Il ne lui restait pas un seul grand monument sur le chantier. Soit qu’elle eût elle-même la conscience que son âge était fini, soit que sa pensée fût en effet à bout, elle s’arrêta, et regarda faire l’avenir ; il se trouva alors que son repos, qui avait paru sublime, ne satisfit plus à un patriotisme qui venait tout nouvellement de mesurer sa force. On appela froideur ce que l’on avait appelé sérénité, et indifférence ce qui avait semblé élévation divine. On lui gardait rancune de n’avoir voulu se mêler en rien des affaires de ce monde quand le sol allemand avait tremblé, et de n’avoir pas célébré plus tôt dans l’art l’ère d’affranchissement que l’état lui-même avait été si lent à consommer dans son histoire. C’est une erreur de croire, comme on le fait aujourd’hui, que Goëthe, jusqu’à sa mort, n’a rencontré pour lui qu’un culte aveugle dans son pays. Une opposition retentissante s’était élevée, au contraire, contre sa toute-puissance. C’était un véritable ostracisme que cette critique qui, dans ces derniers temps, se levait chaque matin pour lui dire dans sa langue : Je suis las de t’entendre appeler le juste. On ne sait pas assez combien ce génie cosmogonique avait froissé, à la longue, sans le vouloir, d’enthousiasmes sincères, ni combien cette main de bronze avait effeuillé, sans y songer, de vertes couronnes sur son chemin. C’est lui qui a donné à l’Allemagne la connaissance du bien et du mal, et cette science s’est trouvée si amère, qu’à présent son pays lui en fait un reproche. Les caractères passionnés des patriotes étaient décontenancés par cette impartialité d’une ombre. Ce qui reste de puritains de la vieille Allemagne finissaient par s’alarmer à mesure que cette vie merveilleuse déroulait, sous leurs yeux, ses métamorphoses imprévues. C’était tout un siècle qui marchait debout, corps et âme, dans un autre siècle, et qui l’effrayait de sa hauteur. Son impassible puissance causait aux fauteurs de l’école nouvelle le même déplaisir que, chez nous, le persifflage de Voltaire avait inspiré, sous l’empire, aux écoles de Mme de Staël et de M. de Châteaubriand. Autant on s’était