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Tant de hautes facultés dissipées tour-à-tour dans un emploi mercenaire et dans d’indignes plaisirs, la confusion de tous les rangs et de toutes les conditions dans le même cercle d’intrigues sensuelles, cette familiarité délicate, ingénieuse encore dans sa licence, où vivent pêle-mêle, en confidens ou en rivaux, cardinal, prince, abbé, intendant, favori : c’était là un fonds de roman tout à fait hors des données vulgaires, et duquel, avec une âme sérieuse et tournée à l’histoire, on devait tirer de fortes leçons. C’est ce qu’a fait madame Allart, et cela sans prodiguer les contrastes déclamatoires, sans s’arrêter à chaque instant pour s’étonner et faire remarquer, mais par le simple exposé, trop simple même et trop écourté souvent, de cette société, qu’elle a observée à loisir. L’héroïne du roman, Française de vingt-quatre ans, blonde au visage noble et animé, qui a quelque chose d’élégant, de modeste et de naturel dans toute sa personne, d’un abord parfois sévère, mais qui s’adoucit avec de la grâce et de la cordialité, telle enfin qu’on croit sentir en elle une âme à-la-fois aimable et forte, capable de grandes choses, mais sensible aux petites ; Thérèse de Longueville, au milieu des hommages dont elle est l’objet, et auxquels elle reste assez indifférente, ne tarde pas à distinguer Sextus, à le craindre d’abord (car d’anciens chagrins l’ont rendue prudente), puis à désirer de le revoir et de lui plaire. Un sentiment profond de dignité de femme une fois abusée respire dans Thérèse. L’éternelle pensée de ce qu’il y a encore au fond du génie romain, exalte et dévore Sextus. Ces deux êtres choisis sont destinés l’un à l’autre, et, après la lutte première venant de quelque malentendu, ils doivent tout vaincre pour s’unir. Par malheur, dans le roman, tel que l’a écrit l’auteur, la place manque aux développemens. Ces deux personnes idéales et vraiment belles n’ont d’air ni d’espace qui les entoure, et où elles puissent se déployer. Familière dès long-temps avec ces types qu’elle perfectionne en secret et qu’elle aime, la femme distinguée qui a écrit ce livre n’a pas songé qu’il y avait lieu à une composition, et, dans un grand nombre de cas, elle a raconté ce qui les touche de plus important et de plus intime, en peu de mots, avec une sorte de brève négligence, comme on fait à la fin d’une lettre, lorsque le jour baisse ou que le papier manque. Il y a plutôt canevas qu’œuvre. Pourtant il nous semble que, dans ce genre de roman austère, comme elle l’appelle, je crois, madame Allart se pourrait créer une véritable originalité ; mais il lui faudrait se souvenir que si, dans le genre tendre et aventureux, il est permis, en composant, de laisser courir sa plume, qui va d’elle-même alors aux digressions faciles, aux grâces variées et abondantes, il devient indispensable, en abordant un ordre de sentimens plus contenu et plus réservé, de nourrir son expression et de marquer ses effets. En se rapprochant de l’antique et jusqu’à un certain point de la statuaire, ce genre de roman, un peu froid peut-être, appelle tout le soin de l’artiste, toute sa méditation lente au-dedans, toute sa correction au-dehors. La négligence autrement, environnée de sévérité, n’a rien qui charme et ressemble trop à de la sécheresse. Et puis, dans toute espèce de roman, même le plus élevé, le plus sérieux, le plus digne, n’y a-t-il pas lieu, par instans aussi rares qu’on voudra, mais quelquefois enfin, à s’asseoir, à s’oublier, à s’épanouir ? Couleur, abandon, abondance, attendrissement, ne sont-ce pas là des sources délicieuses, qu’il ne faut jamais se fermer ? Nous soumettons, sans prétendre les lui appliquer dans toute leur extension, ces remarques à l’auteur éclairé de Sextus. Sextus est suivi de morceaux sur Rome, sur Naples, sur la Toscane, où l’on retrouve un esprit habitué au commerce et à la tournure des grands historiens, Machiavel et Guichardini, un coup-d’œil moral et observateur.