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REVUE. — CHRONIQUE.

lui eût pas fait défaut avant la fin, il devient assez difficile de la saisir et de la caractériser, à mesure que l’on avance dans la lecture.

Et d’abord il ne paraît pas avoir tenu grand compte des écoles historiques de France et d’Angleterre. Je veux parler des plus récentes. Il n’a pas prétendu au caractère rigoureux, et cependant très littéralement épique d’Augustin Thierry. Il n’a pas voulu divertir à la manière de Froissart et de Monstrelet, ou de M. de Barante, qui les a modernisés assez heureusement, ou plutôt qui les a découpés et cousus, et s’est effacé pour réaliser une phrase de Quintilien, qui, sans doute, était bien loin de leur pensée, Scribitur ad narrandum, non ad probantum, ce qui n’est rien moins qu’un anathème contre Thucydide et Tacite. Il ne s’est guère soucié de constituer logiquement et a priori la nécessité, la fatalité des rôles et des événemens, comme MM. Thiers, Miguet et Guizot : il n’a pas eu non plus, comme le docteur Lingard, une idée théologique et légitimiste.

Il ne s’est prononcé explicitement, ni pour ni contre la vieille monarchie : il n’a pas non plus encouragé de ses vœux, ni hâté par sa dialectique un nouvel ordre de choses.

Non, Lemontey, suivant la double impulsion, la destinée irrésistible de son esprit, s’est contenté d’appliquer patiemment, avec une merveilleuse érudition, en se résignant, sans regrets ni paresse, au triage éclairé de ses lectures, la méthode voltairienne, à laquelle nous devons un des livres les plus populaires et les plus sensés, mais non pas un des plus savans de notre langue, l’Essai sur les mœurs, qui a servi de modèle à David Hume, à Smollett, à Robertson, à Ferguson.

Telle qu’elle est toutefois, l’Histoire de la régence est incontestablement un des livres les plus essentiels de notre littérature historique, qui ne dispense pas de la lecture des Mémoires complets de Saint-Simon, mais qui aide à les comprendre, et les redresse parfois sur plusieurs points importans.


D’Egmont[1]. Il y a dans ce livre une pensée politique juste et grande, une idée que l’histoire justifie, à quelque heure et chez quelque nation qu’on la prenne et l’étudie, le développement fatal et irrésistible de la liberté, la nécessité inévitable du triomphe lent ou rapide, facile ou douloureux pour les principes que le temps a posés, que les choses ont révélés aux hommes, et qui doivent se réaliser à tout prix.

Or, l’auteur de ce livre qui a fait un roman pour démontrer son idée, ce dont il faut le remercier, n’a pas voulu remonter bien loin dans le passé, dans la crainte sans doute que les analogies d’événemens et de rôles ne fussent pas assez frappantes, et puis aussi par un besoin naturel d’originalité, d’indépendance, qu’il eût trouvé difficilement à satisfaire par une autre méthode. En plaçant la scène et les personnages à trois ou quatre siècles de distance, il aurait peut-être coudoyé sur sa route quelques entêtés douteurs, pour qui la

  1. Chez Fournier, rue de Seine.