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avait soulevé beaucoup de questions neuves, et qui jusque-là n’avaient pas même été posées ; avait bouleversé la plupart des utopies qui servaient de lieux communs et presque de monnaie courante. En éclairant d’un jour éclatant l’idole que les historiens avaient encensée, il n’avait pas eu besoin de la renverser : elle était tombée d’elle-même.

Et cette première réaction historique prêtait un admirable secours aux réactions littéraires qui se préparaient dans le même temps. En dessinant avec une rare précision les lignes de l’horizon et des derniers plans, il donnait à la silhouette des acteurs et des artistes qui occupaient la scène, une pureté singulière et très utile à l’intelligence de la littérature comme de la politique. On devait donc naturellement attendre avec impatience l’Histoire de la régence, qui malheureusement complétera pour nous la série historique commencée par Lemontey. La mort, qui est venue le surprendre au milieu de ses travaux, ne lui a pas permis d’aller plus loin. Nous n’aurons de lui ni Louis xv ni Louis xvi, et nous devons sincèrement le regretter ; car après ces deux prémisses, il aurait conclu ; et à supposer même qu’un esprit complaisant et laborieux comme le sien veuille bien mener à fin le monument dont il construit les premières assises, son œuvre court grand risque, ainsi continuée, de manquer d’harmonie et d’unité.

Quoi qu’il arrive, nous devons déclarer que l’Histoire de la régence signale, dans la manière de Lemontey, un véritable progrès. Malgré les réserves de tout genre dont il entoure ses révélations, malgré les réticences innombrables à l’aide desquelles il espère déguiser et presque sanctifier ce que son sujet a de délicat et de chatouilleux, son nouveau livre est animé d’un intérêt pressant et volontiers romanesque. Les conspirations et les intrigues de cour, les négociations embrouillées comme une partie d’échecs, qui se croisent et se contrarient en mille sens, avant de se dénouer par un épilogue qui le plus souvent n’est pas la fin de la pièce ; les portraits, les anecdotes, il y a là de quoi déborder les huit cents pages de son histoire. Aussi voyez comme il ménage et contient ses paroles ! Il ne donne aux faits et aux personnages que la part de détails qui leur appartient légitimement ; et pour le cadre qu’il a pris, les figures sont si nombreuses, qu’il ne laissera pas sans le couvrir un seul coin de la toile. Son langage, sans renoncer à sa coquetterie, se trouve parfois forcé à la concision et à la simplicité par la nature même des choses qu’il doit dire.

Seulement avec plus de franchise et de liberté, en ne se contraignant pas, comme il a fait, en n’essayant pas d’assujétir tous les épisodes de cette amusante histoire aux exigences d’un récit écrit, dans le sens le plus rigoureusement littéraire, et de jeter jusque dans la débauche une sorte de chasteté, il eût trouvé, je m’assure, des couleurs plus tranchées et plus vives, des oppositions plus nettes et plus pittoresques ; ainsi fait, son livre eût été moins poli peut-être, mais il aurait eu plus de sève et de vigueur.

Mais si l’on veut pénétrer l’intention philosophique ou politique qui a guidé Lemontey dans les deux premières parties de son travail, et qui sans doute ne