Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/493

Cette page a été validée par deux contributeurs.
487
REVUE. — CHRONIQUE.

raire, qui ne prétend guère à la poésie ou au dogme, ou qui, du moins, ne montre pas grand courage pour y atteindre ; mais en même temps, il apportait dans son style une élégance contenue et laborieuse, une savante et solide architecture, une sévérité latine qui a presque disparu de la littérature française depuis la fin du dix-septième siècle, une coquetterie grave et presque antique, dont le souvenir s’efface tous les jours, et qu’il faut aller chercher dans Fénelon et dans Pascal.

En même temps que ses habitudes, sa vie, les sociétés qu’il fréquentait, la direction de ses études, le disposaient à la moquerie, la parole châtiée qu’il s’était imposée comme un devoir, arrêtait souvent l’essor et le développement de sa pensée. Si parfois il lui arrivait d’oser, il ne s’aventurait pas trop avant dans une épigramme, parce qu’il eût craint, en se laissant aller, d’égratigner sur sa route quelques convenances de style, d’effaroucher, par mégarde, quelques pruderies phraséologiques. Dans l’ouvrage spirituel auquel il a dû sa première réputation, dans Raison et folie, on peut vérifier très littéralement la plupart de ces remarques. Il n’y a pas une page, si amusante et si gaie qu’elle soit, où l’on ne surprenne ce perpétuel qui vive, et pourtant c’est, à tout prendre, une lecture agréable et qui n’est pas sans profit. Mais souvent on y regrette l’abandon et la nonchalance, qui, dans ces sortes de compositions, ont volontiers plus de charme et de portée qu’une plaisanterie finement aiguisée, mais qui manque le but, parce qu’elle n’est pas assez vivement lancée. C’est un esprit habile et pénétrant, mais qui tremble de se compromettre. Napoléon le savait peut-être, lorsqu’en 1808, il lui confia l’histoire des deux derniers règnes. Les archives des affaires étrangères lui furent ouvertes. Il eut à sa disposition plusieurs centaines de volumes manuscrits, jusque-là fermés à la curiosité de l’histoire. Sous la restauration, il fit paraître le prodrome de son livre, l’Essai sur la monarchie de Louis xiv. Grâce aux documens précieux et inédits où l’auteur avait pu largement puiser, cette introduction naturelle et indispensable au tableau du dix-huitième siècle offrit de nombreux élémens d’intérêt, de discussion et d’enseignement. Pour la première fois, depuis le panégyrique protégé par le nom de Voltaire, le génie et la majesté du grand roi furent analysés, soumis au doute et à l’interpellation. Ce qui passait pour infaillible et sacré reprit, sous la plume de Lemontey, des proportions humaines et intelligibles. Avant lui personne, en racontant tout ce qui s’est fait et voulu en France depuis 1638 jusqu’en 1715, n’avait montré que la centralisation de tous les pouvoirs politiques dans la personne royale, était un commencement de désorganisation sociale, qu’en retirant à la noblesse le droit d’intervention dans les affaires, à la magistrature le droit de remontrance et de conseil, Louis xiv avait fait de la guerre une nécessité, une distraction dont les grands ne pouvaient plus se passer, qu’il obligeait les parlemens à la chicane et à la tracasserie, que pour vouloir tremper trop solidement le métal de son sceptre, il l’avait rendu cassant, et qu’au jour où il le laisserait tomber, la royauté s’en irait en éclats.

Bien que la Monarchie de Louis xiv, comme les précédens ouvrages de Lemontey, manque de hardiesse et de portée, cependant ce premier volume