Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/476

Cette page a été validée par deux contributeurs.
470
REVUE DES DEUX MONDES.

— Tu ne l’auras qu’avec ma vie ! dit le vieillard.

— Encore une fois, mendiant, ton diamant !

Le vieillard :

— Mendiant ! oh ! c’est alors que je serais mendiant et misérable, si je te donnais ma fortune, ma seule supériorité sociale, mon orgueil, mon nom, mon écusson qui brille sous mes guenilles, la liste de mes ancêtres qui se fait jour à travers mes haillons, mon univers à moi, mon voyage en Italie, mon ciel napolitain, mon prince, mon amour ; n’en parlons plus, prends mon sang, frappe, et puis tu dépouilleras à ton aise le mendiant.

Disant cela, il découvrit sa poitrine vaste, noire et sonore. Le cœur battait vivement, caché sous un mince gilet de peau.

Gustave leva son poignard avec le plus grand sang-froid, car il était ivre.

Le vieillard alors changea tout-à-coup de visage. Il prit l’habit et la voix, et le geste, et le regard, et le tendre sourire que Gustave avait toujours connus à son père. C’était le même visage, les mêmes cheveux blancs, la même majesté. — Gustave, mon fils ! mon fils ! Gustave, dit-il, frappe donc ton père !

Gustave frappa !

Le vieillard tombe en gémissant, son sang coule, le poignard reste cloué à la terre ; la terre tremble ! Le diamant se couvre d’un voile comme les pierres précieuses qui pâlissent à l’approche du poison. À ce sang, à ce cri plaintif, à ces pleurs, à cette voix, à ces traits, — le diamant évanoui, — Gustave recule d’horreur ! Il vient de se reconnaître assassin. Tout-à-coup le vin s’en va de sa tête, le désir de son cœur ; il veut laver sa main tachée de sang, le sang reste à sa main. Il pleure, il sanglote, il s’accuse, il accuse le ciel et la terre, il s’arrache les cheveux, il veut mourir ! À l’instant où il va se percer le sein, le vieillard, reprenant sa première forme, se relève, sa blessure se ferme, le sang s’en va, et le mendiant d’une voix douce :

— N’accuse donc pas les hommes, ô mon fils, et quand la voix d’un vieillard frappera ton oreille, ne te prends pas à chanter une frivole chanson d’amour. Ô mon fils ! dépose ton orgueil ! sois humble et doux. Ne déclame pas contre le vice et les