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ture, la vertu qui l’unissait au vice. Bizarre jeune homme ! au milieu d’une orgie, il se levait au plus fort de l’ivresse, il déclamait contre le vin et contre les emportemens de l’orgie, il faisait rougir ses jeunes compagnons de leur raison perdue au fond d’une coupe. À cette boutade éloquente, les jeunes convives effrayés ôtaient de leur tête la couronne de lierre, ils soufflaient sur le punch enflammé, et chacun se retirait chez soi, vaincu par l’éloquence du jeune comte suédois.

Un autre jour, le philosophe se trouvait attaché à une table de jeu ; l’or éclatant sur le tapis vert ruisselait à travers le râteau. Il s’abandonnait tout entier à l’enivrement, à la couleur, au léger cliquetis de l’or. Le hasard tournait aveuglément au milieu de tous ces joueurs, distribuant à son gré ses faveurs funestes ou ses leçons sévères. Tout-à-coup au plus fort de l’enivrement, de l’ennui et du jeu, sous une pluie d’or, à l’instant même où la roue de fortune va tourner, se jouant de la boule d’ivoire comme de l’âme des joueurs, le noble Suédois déclamait contre le jeu et contre ses emportemens funestes, et contre ses joies sévères, et contre ses pertes délirantes. À cette voix passionnée, le jeu s’arrêtait, les râteaux restaient suspendus, la roulette était immobile, et les joueurs attendaient que Gustave fût parti pour exposer de nouveau sur un chiffre leur fortune, leur âme, leur vie, leur femme. Gustave, sorti du tripot, bondissait de joie dans la rue, se croyant un véritable héros.

Un autre jour, il était attendu dans une petite maison du faubourg ; la maison était noire et sombre au-dehors, elle était éclairée et joyeuse au-dedans. Au-dedans, le mystère attentif, le luxe élégant, la table blanche et bien dressée, le vin clair et vieux, la bougie parfumée, le boudoir aux tentures roses, et dans ce boudoir une jeune femme qui attendait Gustave, car c’était un philosophe jeune et beau, au frais sourire, à la vaste poitrine, à la voix douce et bien accentuée, au noble cœur ; car c’était une philosophie riante et peu sévère en apparence. Il entra donc dans le boudoir, et aux pieds de cette jeune femme souriante et blanche, et la lèvre tendue, et la tête penchée sur un sein qui bat, et la main effilée qui repose sur son genou, Gustave s’assit