Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
REVUE DES DEUX MONDES.

Comme on ne pleure guère une journée de suite, je regardai mes deux montres, je vis à l’une dix heures et demie, à l’autre onze heures précises ; je pris le terme moyen et jugeai qu’il devait être dix heures trois quarts. J’avais du temps et je me mis à considérer ma chambre et particulièrement ma chaise de paille.


CHAPITRE XXVI.
Une chaise de paille.

Comme j’étais placé de côté sur cette chaise, ayant le dossier sous mon bras gauche, je ne pus m’empêcher de le considérer. Ce dossier, fort large, était devenu noir et luisant, non à force d’être bruni ou ciré, mais par la quantité de mains qui s’y étaient posées, qui l’avaient frotté dans les crispations de leur désespoir ; par la quantité de pleurs qui avaient humecté le bois, et par les morsures de la dent même des prisonniers. Des entailles profondes, de petites coches, des marques d’ongles, sillonnaient ce dos de chaise. Des noms, des croix, des lignes, des signes, des chiffres, y étaient gravés au couteau, au canif, au clou, au verre, au ressort de montre, à l’aiguille, à l’épingle.

Ma foi ! je devins si altentif à les examiner, que j’en oubliai presque ma pauvre petite prisonnière. Elle pleurait toujours, moi je n’avais rien à lui dire, si ce n’est : Vous avez raison de pleurer ; car lui prouver qu’elle avait tort m’eût été impossible, et pour m’attendrir avec elle, il aurait fallu pleurer encore plus fort. Non ! ma foi !

Je la laissai donc continuer et je continuai, moi, la lecture de ma chaise.

C’étaient des noms, charmans quelquefois, quelquefois bizarres, rarement communs, toujours accompagnés d’un sentiment ou d’une idée. De tous ceux qui avaient écrit là, pas un n’avait en ce moment sa tête sur ses épaules. C’était un sinistre album que cette planche. Les voyageurs qui s’y étaient inscrits étaient tous