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une cruelle incertitude, car je craignais de le voir reparaître, je me couchai de nouveau et tombai dans un profond sommeil.

« Le lendemain, je marchai vers l’est, et, après avoir traversé deux ruisseaux assez profonds, il me fallut entrer dans des bois épais, dont les broussailles mettaient mes pieds dans un état pitoyable. En revenant le soir à mon gîte, je fus obligé de raccourcir le bas de mon pantalon, en le coupant, pour faire des bandes à mes pieds ensanglantés. Le loup ne reparut pas ; mais, pendant la nuit, j’entendis la voix de quelques-uns de ses frères.

« Le mauvais succès de mes deux dernières excursions me détermina à changer de direction, et à ne plus revenir au lac. En conséquence, le 29, m’étant levé avant le jour, je marchai droit au nord, et bientôt je tombai sur quelques traces qui ranimèrent mon espérance. J’eus le bonheur de trouver, à l’endroit où je m’arrêtai le soir, des cerises en abondance, et je fis un excellent souper. Je passai quelque temps, avant de me coucher, à raccourcir encore mon pantalon, pour en faire des bandages pour les plaies de mes pieds. Je réussis à me couvrir le corps avec des morceaux d’écorces de pin, que j’avais arrachées aux arbres. À peine étais-je endormi, que je fus réveillé par un concert fort peu de mon goût, où les ours faisaient la basse, et les loups le soprano.

« Le pays que je parcourus le 24, en allant au nord-ouest, était couvert de bois épais ; je souffris cruellement de la soif ; je n’eus, pendant toute la journée, que deux gorgées d’eau, encore d’une eau pourrie et nauséabonde. — Vers le coucher du soleil cependant, j’arrivai près d’un ruisseau, sur les bords duquel je m’établis pour passer la nuit. La rosée était épaisse, et j’étais si harassé, que je ne pus aller chercher de l’écorce, pour me couvrir ; et, quand même j’eusse été tenté de l’entreprendre, le hurlement des loups m’y eût fait renoncer. Il devait y avoir une prodigieuse quantité de ces animaux : c’étaient d’abord les faibles cris des petits, couverts bientôt par les voix confuses et fortes des pères. Je n’osais plus croire qu’il me serait permis de me retirer sain et sauf le lendemain. Je ne pouvais fermer l’œil.