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UNE JEUNE POÈTE ANGLAISE.

Belle ! non, si ce n’est cette beauté soudaine,
Intelligent reflet de la pensée humaine ;
Belle ! non, si ce n’est au moment fugitif
Où l’âme sur les traits jette un charme furtif.
Elle l’éprouva trop ! La jeune désolée,
Jetée au sein du monde, étrangère, isolée,
N’a point connu ces noms, doux et premier lien,
Où put se reposer un cœur tel que le sien !
Trop tendre pour goûter la vaine flatterie,
Trop aimante pour voir sa jeunesse flétrie,
Dans cet isolement, imposé par le sort,
Elle vit ; mais la vie est pour elle un effort !
Long-temps elle nourrit, dans le fond de son âme,
D’innocens alimens cette inquiète flamme.
Elle invoqua les Arts, l’Étude, la Pitié,
Qui, trompant notre cœur, le remplit à moitié ;
Les doux chants du poète, et tout ce qu’à nos veilles
Le monde des romans peut offrir de merveilles :
C’est en vain, elle aima ! elle aima ! dès ce jour,
Des oiseaux et des fleurs fuit le tranquille amour,
Le livre nonchalant sur ses genoux retombe ;
Le luth reste oublié sous l’arbre favori,
Dont les rameaux, pendans comme autour d’une tombe,
Aux doux rêves du soir n’offrent plus leur abri.
Elle aima ! Quel pouvoir l’en aurait pu défendre ?
C’est lui qu’elle aime, lui qui voit, sans y prétendre,
Tous les yeux s’animer, tous les cœurs tressaillir,
Tous les fronts se parer d’une rougeur nouvelle,
Et chaque belle joue en devenir plus belle,
Hors une seule, hélas ! qui ne sait que pâlir.

Pauvre cœur ! qui, peu fait aux douloureuses crises,
Au premier battement qui t’agite, te brises…
Pauvre fille ! qui n’as ces lèvres, ni ces yeux,
Pour qui le jeune amant échangerait les cieux !…
Malheur ! tu vas subir cet amour implacable,
Cet amour sans merci pour l’âme qu’il accable,
Qui, loin de s’apaiser du calme de la nuit,
Arrache à son repos le paisible minuit !
Qui, dans la foule immense, aperçoit un seul être ;
Qui, de cent pas confus, n’écoute qu’un seul pas ;
Qui, d’un brillant concert, n’aime et n’entend peut-être
Qu’un seul accent plaintif, qu’il répète tout bas ;