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irréprochable, sont assez maigrement pourvus d’idées, si l’on excepte peut-être une pièce vraie et touchante sur la mort du malheureux Chatterton.

Les Portraits littéraires de M. Sainte-Beuve forment le complément naturel et logique de son histoire de la poésie française au seizième siècle. Depuis 1828, époque à laquelle parut son premier ouvrage, l’auteur a manié la plupart des questions qui intéressent la poésie moderne de la France ; souvent même il les a personnellement soulevées.

Et il ne s’est pas contenté de résoudre dialectiquement les problèmes qu’il avait devant lui ; il a donné à ses solutions une forme vivante et durable. Après l’histoire du seizième siècle poétique, il a publié un volume de poésies où il appliquait avec une religieuse fidélité, la plupart des procédés rhythmiques que ses lectures lui avaient révélés, l’élégance et la grâce des strophes, qu’il avait dérobées à Baif, à Ronsard, aux meilleurs esprits de la Pléiade.

Notre poésie avait perdu ses titres : il les avait retrouvés, et les mettait en évidence avec une rare et louable habileté. Il remontait laborieusement d’André Chénier à Maturin Régnier, pour constater irrécusablement les franchises de notre vieille langue, et, comme il convient en pareil cas, ajoutait l’exemple au précepte.

Ça été là le premier moment, la première et publique manifestation de ses pensées critiques et poétiques. Dans ces deux premiers volumes, on remarque une ferveur de prosélytisme, une ardeur de dévoûment à la Pléiade nouvelle, qui depuis a été apaisant et s’attiédissant de plus en plus, à mesure que l’horizon s’est agrandi.

Entre les Consolations et les Portraits littéraires, il y a la même et intime sympathie qu’entre Joseph Delorme et l’Histoire du seizième siècle poétique, et aussi, par une conséquence inévitable, le nouveau volume de critique est très supérieur au premier. Les différens morceaux de ce recueil, publiés à de lointains intervalles, dans l’espace de trois années, révèlent de nombreux et réels progrès dans l’esprit de l’auteur. Il a lui-même indiqué avec une grande bonne foi la distance qui sépare les premières pages des dernières ; comment des questions purement littéraires, telles que la valeur et le sens du mérite poétique de Boileau, il est arrivé aux questions sociales, philosophiques et religieuses, telles que la destinée probable des tentatives de rénovation poursuivies si courageusement par l’abbé de Lamennais.

Aujourd’hui M. Sainte-Beuve ne combat plus pour la gloire et l’inviolabilité du cénacle. Le temps des agapes est déjà bien loin. Et on peut suivre presque jour par jour toutes les évolutions qui se sont accomplies au sein de son intelligence, en lisant dans un certain ordre les chapitres de ses portraits. En 1829 la question lyrique était encore flagrante. À la veille d’un orage, la France avait presque autant de loisirs que l’école d’Alexandrie ; on discutait l’enjambement d’un sixain sur le sixain suivant avec une attention qui ne promet pas de revenir d’ici à long-temps. C’est à cette époque que se rattachent l’analyse, et l’appréciation de Lebrun, de Jean-Baptiste Rousseau, d’André Chénier. Puis après avoir justifié par l’inimitable négligence de madame de Sévigné, les ca-