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fallu des mains de géans pour remuer de pareilles masses. Au revers de la montagne, à l’ouest pendent de vieux débris de murailles. Les vestiges du Propylée et de l’Acropolis, les chambres souterraines qui cachaient les trésors des rois, ont été décrits par plusieurs voyageurs, notamment par M. Fauvel dans ses intéressans mémoires : ce sont d’ailleurs des monumens très peu remarquables. Vous voyez, monsieur, que Mycènes n’offre rien de bien curieux ; au temps de Pausanias, elle n’était déjà plus qu’un amas de ruines, et, chose remarquable, ces ruines sont encore comme elles étaient lors du passage du voyageur grec.

Quelques voyageurs modernes, entraînés par l’amour de la science et des découvertes, ont cru retrouver à Mycènes des tombeaux et des monumens inconnus jusqu’ici. Il ne m’appartient point de juger ce qu’il peut y avoir de vraisemblable dans leurs découvertes ; mais, tandis que Pausanias n’a rencontré à Mycènes que des débris sans nom, comment, nous étrangers, qui arrivons là après tant de siècles, pouvons-nous avoir la prétention orgueilleuse d’expliquer ce que les temps ont effacé, et de relever ce qui n’est plus ?

Cependant tout ce qui appartient à Mycènes n’a point péri : il est un monument qui embellit encore à mes yeux ces collines veuves de leurs palais : c’est l’Électre de Sophocle, œuvre immortelle de poésie et d’histoire, qui parle aux yeux et à l’imagination. Sophocle avait vu les lieux, et sa belle tragédie d’Électre nous représente Mycènes comme il l’avait vue lui-même. La plupart des monumens sont mentionnés, et les Mycéniennes et la famille d’Agamemnon se montrent à nous telles qu’elles furent autrefois. La première scène de la pièce est une exposition du pays. « Vous voyez à droite, dit le gouverneur d’Oreste, l’antique ville d’Argos, le bois de la fille d’Inachus et le lycée consacré à Apollon ; à gauche, vous voyez le célèbre temple de Junon. La ville où vous arrivez, c’est Mycènes, et ce palais, témoin de tant d’affreuses aventures, est le palais des descendans de Pélops. »

Quelle est touchante la douleur d’Électre ! Combien ses accens sont tristes ! Lumière pure, s’écrie-t-elle, ciel qui environnez la terre, témoin assidu de mes plaintes, que de fois vous avez entendu les coups dont j’ai frappé mon sein ! Hélas ! vous n’avez vu que les restes de mes cruelles nuits ; car, durant les ténèbres, ma triste couche, seule dépositaire de mes maux, a vu couler mes larmes au souvenir d’un père que j’aimais. Le dieu de la guerre l’avait épargné sur une terre étrangère. Ma mère et son perfide Égyste ont été plus inhumains que Mars : ils l’ont fait expirer sous leurs coups, comme on voit un chêne tomber sous la hache des bûcherons. Tandis que mon père est frappé d’une aussi horrible destinée, je suis la seule qui aie des larmes pour lui. Je veux le pleurer tant que les astres de la nuit et du jour brilleront à mes yeux. Semblable à Philomèle, privée de ses enfans, je ferai retentir ce palais de mes plaintes, et je publierai partout les crimes de ma mère et mes propres douleurs. Royaume sombre de Pluton et de Proserpine, Mercure qui conduisez les âmes aux enfers, déesse des imprécations, et vous, filles des dieux, terribles Euménides, qui regardez avec horreur le meurtre et l’adultère, venez à mon secours, et soyez le vengeur de mon père.»