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d’or, que la république devait lui payer tous les ans, sa vie durant. De plus, elle se réservait 2,000 écus, dont elle pouvait disposer à son gré, et que Venise était tenue de lui donner[1]. Une chronique grecque place cet événement à la date de 1389. La cession d’Argos aux Vénitiens a été différemment racontée par les auteurs. Quelques-uns ont écrit que ce fut Théodore Paléologue, fils de l’empereur Jean, qui, effrayé de la marche victorieuse des Turcs, vendit Argos à la république de Venise ; mais l’opinion la plus accréditée nomme Marie d’Enghien. Les Vénitiens ne gardèrent pas long-temps cette ville. En 1397, le sultan Bajazet la prit et la saccagea. Plus tard, les Vénitiens l’ayant rebâtie, elle tomba de nouveau au pouvoir des Turcs, sous Mahomet II, en 1463. Près de deux siècles s’écoulèrent, et les Vénitiens reparurent dans leur ancien domaine. Enfin la Morée passa tout entière sous la main des disciples du Coran, et Argos fut musulmane. Que de révolutions, monsieur, dans l’histoire d’une seule cité ! et qu’il a fallu de siècles et d’événemens pour qu’un aga remplaçât Agamemnon ! Maintenant, depuis la délivrance de la Grèce, Argos est redevenue grecque, et ses propres enfans la gouvernent.

En lisant l’histoire de ces dernières révolutions, vous avez pu voir, monsieur, de combien de maux Argos a été accablée ; plusieurs fois l’incendie l’a dévorée, et sa population a souffert tout ce que la guerre a de plus désastreux. Dans une seule nuit sept cents Argiens furent décapités. Le trépas de tant d’hommes ne resta pas sans vengeance ; Hypsilanti, posté avec trois cents Grecs dans la citadelle d’Argos, fit éprouver de grandes pertes aux troupes musulmanes. En 1829, les représentans de la Grèce se réunirent à Argos, sur l’emplacement d’un ancien théâtre, pour régler les intérêts du pays. Je ne chercherai pas à caractériser cette réunion nationale qui tenait ses séances au lieu même où les Argiens d’autrefois applaudissaient les chefs-d’œuvre de Sophocle et d’Euripide ; je ne vous dirai point si la tribune de la nouvelle Argos, avait aussi ses Démosthènes, et quel était le genre d’éloquence de ces représentans grecs. Tout ce que je sais, c’est qu’on y parla beaucoup d’avenir et de régénération, et qu’il est arrivé à la révolution grecque ce qui arrive à presque toutes les révolutions, c’est de promettre beaucoup et de tenir peu[2].


Aujourd’hui la population d’Argos ne s’élève pas au-delà de mille habitans ; la misère y est grande ; il faudra bien du temps pour que ce pauvre pays se relève et se console. Des maisons en pierre ont été récemment construites ; quelques-unes sont mêmes élégantes. Nous avons vu une église qu’on achève de bâtir, et qui sera le plus bel édifice d’Argos. On lit sur une des murailles extérieures une inscription en grec moderne, qui fait connaître que la nouvelle église est dédiée à saint Jean, et qu’elle a été élevée sous les auspices du comte Capo d’Istria, président de la Grèce. À côté du monument, un Grec

  1. Histoire de Constantinople sous les empereurs français, liv. VII.
  2. On peut voir dans l’Annuaire de Lesur, 1829, Appendice p. iii et suiv. la traduction des pièces et des décrets relatifs à l’assemblée d’Argos.