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FROISSART.

et enfin la passe-d’armes de Saint-Ingelbhert, près Calais, qui n’offre pas moins de détails romanesques que le tournoi d’Ivanhoé. Mais il ne faut pas croire qu’à l’exemple d’un roman de chevalerie, Froissart n’ait à vous entretenir que de prouesses et de coups de lances. Il excelle à peindre les passions, les mœurs, avec cette forme dramatique si recherchée aujourd’hui !… L’épisode des amours d’Édouard iii et de la belle comtesse de Salisbury est célèbre et mérite de l’être : c’est un chef-d’œuvre de grâce et d’harmonie. Il y a aussi des scènes pathétiques ou sanglantes. L’arrivée subite du roi Jean au château de Rouen, et ses terribles vengeances dans le champ de pardon, la trahison profonde qui livre Clisson au duc de Bretagne, dans le château de Lhermine, et les cruelles perplexités de menaces et de craintes auxquelles ils sont l’un et l’autre en proie, jusqu’au dénoûment du drame, tout cela est raconté avec un talent véritable, et dans un style aussi animé qu’il est pur. Je choisirai, dans un autre genre, ce récit des derniers momens de la reine d’Angleterre, Philippe de Hainaut, femme d’Edouard iii. Il y a long-temps que Froissart nous l’a fait connaître, alors que le jeune Édouard chassé d’Angleterre, et retiré avec sa mère en Hainaut, « s’adonnoit le plus et s’inclinoit de regard et d’amour sur Philippe que sur les autres, et aussi la jeune fille le connoissoit plus, et lui tenoit plus grande compagnie que nulle de ses sœurs. » Quarante ans après, la scène change : ce ne sont plus les pensées du printemps de la vie, les chants d’amour et de fête ; vous recueillez le dernier souffle d’une vie tranquille et heureuse : « Quand la bonne dame et reine connut que mourir lui convenoit, elle fit appeler le roi son mari, et quand le roi fut devant elle, elle traist de sa couverture sa main droite, et la mit en la droite main dudit roi, qui grand’tristesse avoit au cœur ; et là dit la bonne dame ainsi : Nous avons en paix, en joie et en prospérité usé notre temps : si vous prie qu’à ce département vous me veuilliez donner trois dons… Et tiercement je vous prie que vous ne veuilliez élire autre sépulture que de gésir de lès moi au cloître de Westminster, quand Dieu fera sa volonté de vous. Le roi, tout en pleurant, répondit : Dame, je