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puise. L’aspect sauvage de ce pays, et les mœurs non moins étranges de ses habitans, leur valeur obstinée avaient vivement frappé l’imagination de Froissart, et lui faisaient écrire, long-temps après, à l’occasion de je ne sais quelle bataille, ces lignes d’une précision énergique : « Et sachez que la bataille fut durement bien combattue ; car Anglois et Écossois, quand ils se rencontrent en bataille, sont dures gens et de longue haleine : en combattant, ils s’arrêtent sur le pas, et là fièrent et frappent de haches ou d’autres armures, sans eux ébahir, tant que haleine leur dure. »

Mais cela ne suffisait pas encore à sa curiosité, ou plutôt, comme je l’ai déjà dit, dans cette immense variété d’intérêts, de mœurs, de caractères, d’existences que créait et entretenait le système féodal, quel moyen pour en connaître l’ensemble et l’effet général, si ce n’est d’étudier chaque partie séparément ? Il fallait avoir long-temps et en tout sens traversé le champ si morcelé de cette société, avant d’en pouvoir tracer la mesure et la description. Sans l’activité du voyageur, l’intelligence de l’historien eût été stérile. Aussi Froissart voyageait sans cesse, cherchant nouvelles et souvenirs, comme les preux de son temps cherchaient périls et aventures. Son équipage était bien humble et bien chétif, s’il faut en croire ce début d’une de ses poésies :

Froissart d’Éscoce revenoit,
Sur un cheval qui gris étoit,
Un blanc levrier menoit en laisse, etc.

Mais quelle que fût la turbulence de ces temps, son habit de prêtre, et mieux encore sa réputation le protégeait partout. Aussitôt que le bruit de son travail se fut répandu, il devint le ménestrel révéré de cette chevalerie enthousiaste. Le manoir seigneurial abaissait avec joie ses ponts-levis et sa herse de fer pour recevoir un tel hôte ; et plus d’un puissant baron s’empressa de recueillir sous sa bannière le clerc doux et humble qui tenait registre de gloire, et savait y graver un nom en caractères plus