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FROISSART.

l’intelligence de l’art et la persévérance du travail : ce sont là des conditions indispensables, sans lesquelles on n’élève pas un monument pareil à celui que Froissart nous a laissé. Lui-même, d’ailleurs, s’explique en termes positifs, et qui ne laissent aucun doute sur son intention : « Si je disois : Ainsi et ainsi en advint en ce temps, sans ouvrir ni éclaircir la matière, ce seroit chronique, et non pas histoire. » L’histoire fut donc sa principale affaire, et sa vie entière paraît s’être consumée dans cette mission d’un nouveau genre. Il y a quelque chose de cela dans la pensée qui nous a valu les Mémoires de Saint-Simon. Mais au temps de Froissart, l’Europe n’était pas renfermée dans l’intérieur de quelques cours : on ne pouvait pas tout voir par l’œil de bœuf de Versailles : tous les caractères n’étaient pas jetés dans un même moule, celui de courtisan ; et pour connaître à fond ces hommes de diverse et sauvage manière, que produisait le système féodal, il fallait se mêler continuellement à eux et les étudier.

Telle est la marche qu’a suivie Froissart avec une constance dont il se loue et se glorifie à diverses reprises. Il était prêtre et chapelain de Guy de Châtillon, comte de Blois, sire d’Avenes et de Chimay en Hainaut, où il résidait ordinairement. De cette façon, les longs et sanglans débats qu’eut à soutenir la maison de Blois contre l’héritier de Montfort pour la succession de Bretagne, lui furent connus dans tous leurs détails, et presque comme une affaire de famille, tandis que les troubles de Flandre, qu’il a traités avec une supériorité remarquable, en étaient une de voisinage. Élevé et nourri à la cour d’Angleterre, en l’hôtel de haute et noble dame Philippe de Hainaut, femme d’Édouard iii, dont il fut clerc en sa jeunesse, il y connut tous ces vaillans chevaliers que les victoires de Crécy, de Poitiers, et leurs longs succès en France avaient rendus célèbres. Cela lui donna même occasion de pénétrer jusqu’en Écosse, et d’y recueillir sur le grand roi Robert Bruce, les Douglas au cœur sanglant, et les Percy du Northumberland, leurs rivaux, beaucoup de ces aventures pittoresques et brillantes, dont Walter Scott enrichit ses romans et ses histoires, sans jamais indiquer la source originale où il les