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LOUVEL.

son maître ; c’est encore l’idée du devoir qui le transporte d’indignation à la vue de la patrie envahie, et le rue sur des princes qu’y ramène l’étranger. Qu’on déplore profondément l’aveuglement d’un homme qui en tue un autre, comme il vaque à son travail habituel, également tranquille, le poignard ou l’alène à la main. Mais on ne pourra le nier en y regardant avec quelque attention : au milieu de cette psychologie confuse dont le meurtrier lui-même nous a tracé le tableau, malgré ses lacunes et ses obscurités, il est facile de voir que s’il cède enfin à cette force aveugle qui l’entraîne, c’est en croyant obéir à une loi morale qui lui est imposée, à une commission intérieure que sa conscience lui a donnée ; et notez bien qu’une raison calme et froide, sa raison individuelle, avec toute la rectitude et la netteté dont elle était capable, l’a seul guidé, et qu’elle l’a soutenu jusqu’au dernier instant. N’arguez donc pas d’emportement fanatique, de fureur délirante. Chez cet homme, tout est tranquille ; la réflexion est assurée autant que la main est ferme ; et si l’une a vacillé un seul instant, c’est lorsque la vue et la chute de la victime sanglante vinrent troubler une nature qu’après tout sa volonté de fer n’a pas toujours pu dompter.

Quant aux motifs, nul, nous le pensons, ne les voudra contester. L’action fut exécrable, parce que le sang mérite toujours exécration ; mais ce ne fut pas un sentiment ordinaire qui l’inspira. Examinez, retournez, torturez, analysez en tous sens, de toute manière, les circonstances morales de ce forfait, elles ne vous donneront jamais pour résultat qu’un ardent patriotisme. Ajoutez que ce patriotisme autrement conçu, il est vrai, a été partagé par tous ceux qui, durant dix années, ont alimenté le carbonarisme ; et je dirai plus, par tous ceux qui ont fait la révolution de juillet ; l’illégalité, la foi rompue ne fut que le prétexte : l’unique motif, c’était la haine nationale contre des princes imposés par l’étranger. Omettons donc les motifs du crime : ils ne le justifient point assurément ; et l’on pourrait même dire qu’ils sont tellement louables qu’à eux seuls ils sont la plus éclatante réprobation du forfait. L’assassinat ne peut jamais venger une