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LOUVEL.

plus, c’est toujours autant de gagné, dit à l’accusé un des gendarmes qui le conduisaient. — Et moi, répondit-il, j’appelle cela du temps perdu. » Puis, après avoir refusé les secours d’un prêtre que M. de Sémonville l’engageait à recevoir, il lui demanda, comme une faveur, qu’il lui fît donner des draps un peu plus fins pour la dernière nuit qu’il eût à passer.

Devant les pairs, et après que son défenseur eut pris la parole, il demanda la permission de lire un petit discours qu’il avait écrit tout entier de sa main, et dont voici la teneur, recueillie par un témoin :

« Messieurs, j’ai aujourd’hui à rougir d’un crime que j’ai commis seul… J’ai la consolation de croire, en mourant, que je n’ai déshonoré ni la nation, ni ma famille. Il ne faut voir en moi qu’un Français dévoué à se sacrifier, pour détruire, suivant son système, une partie des hommes qui ont pris les armes contre sa patrie. Je suis accusé d’avoir ôté la vie à un prince : je suis seul coupable ; mais, parmi les hommes qui occupent le gouvernement, il y en a de plus coupables que moi… Ils ont, suivant moi, reconnu des crimes pour des vertus. Les plus mauvais gouvernemens que la France a eus ont puni les hommes qui l’ont trahie et qui ont porté les armes contre la patrie.

(Ici sa voix commença sensiblement à s’affaiblir : il semblait embarrassé de quelques phrases de son discours, qu’il voulait passer, et dont il lisait le commencement, sans les pouvoir achever tout-à-fait ; cependant il reprit, faisant encore quelques pauses de loin en loin.)

« Suivant mon système, lorsque les armées étrangères menacent… les partis de l’intérieur doivent cesser, et se rallier pour combattre, pour faire cause commune contre les ennemis de tous les Français. Les Français qui ne se rallient pas sont coupables. Le Français qui est obligé de sortir de France par l’injustice du gouvernement, si ce même Français se met à porter les armes pour les armées étrangères contre la France,