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mandent si l’Angleterre, l’Autriche, le petit roi de Rome, l’Espagne, ne m’ont point payé mon crime. On ne connaît pas encore le caractère de Louvel, ou bien l’on feint de ne pas le connaître. Cependant, depuis deux mois bientôt que je suis sous les verroux, je n’ai point un seul instant varié. J’ai dit les motifs qui m’avaient poussé ; ils ne sont point changés. Mes juges ont beau se torturer l’esprit ; ils ont beau revenir sur les mêmes questions par mille chemins différens, je les suis sans peine ; ils ont tort de croire qu’ils pourront me prendre par leurs contes de vieille femme. Ils ne me feront pas convenir de ce qui n’est pas : ils pourraient bien s’épargner tant de mal, car jamais je ne puis reconnaître pour vrais les mille et un mensonges qu’on a fabriqués sur moi, et qui, après tout, ne me regardent pas. Du reste, ils n’ont pas dû être mécontens de moi ; car je leur ai répondu non-seulement avec politesse, mais avec une présence d’esprit qui m’a moi-même fort étonné. S’ils voulaient me le permettre, je ferais bien un mémoire sur mon crime et sur toutes les causes qui m’y ont porté. J’en aurais long à dire sur les fautes des gouvernemens et les réformes, que, selon moi, le peuple devrait introduire dans l’état. Si mes juges m’accordaient ma demande, je leur promettrais bien de ne rien dire des Bourbons, ou du moins de n’en point dire personnellement trop de mal. Mais, bah ! on ne me laissera pas faire, et je ne sais pas pourquoi j’y pense. » Puis il se mit à parcourir le cachot en sifflant et en chantant, comme un homme qui cherche à s’étourdir et à chasser quelques pensées importunes. Cette nuit, il ne put trouver un instant de sommeil : il poussait de longs soupirs, et se tournant vers le brigadier de service avec lequel il avait déjà échangé quelques paroles. « Racontez-moi donc, dit-il, quelques contes, si vous en savez : je vous raconterai à mon tour ceux que je sais. La nuit pour moi, et la faction pour vous, seront moins ennuyeuses. « Après quelques mots d’entretien, le brigadier entendant sonner deux heures à l’horloge de la Sainte-Chapelle, « je n’en ai plus qu’une, dit-il, » pensant à l’heure où sa garde devait finir. « Et moi, reprit Louvel, j’en ai plus d’une encore ! » songeant