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cela ne trouva écho dans son âme : il ne pensait qu’à une chose, à la corde qui allait lui serrer le cou, et d’avance son gosier se contractait tellement, qu’il n’aurait pu avaler une goutte d’eau. Le pirate Benard avait merveilleusement deviné le phénomène physiologique. Ainsi qu’il l’avait annoncé à Narcisse Gelin, ce dernier eût été dans l’entière impossibilité de chanter : J’ai du bon tabac.

On passa les pirates l’un après l’autre à bord du brick.

L’un après l’autre on les hissa au bout-dehors de la grande vergue, au bout d’un cartahut, en réservant Benard pour la bonne bouche, comme il disait plaisamment. Narcisse Gelin et Benard restaient tous deux seuls : — Après vous, lui dit Benard en ricanant ; et quand le fils du mercier se sentit guinder au bout du cordage, les derniers mots qu’il entendit furent : Ah ! je suis un intrigant !…

Plaignez le poète.

— C’est tout de même vexant de manquer une aussi belle affaire, murmurait Benard à moitié chemin de la vergue.

Quand sa tête toucha la bouline : — Ah ! dit-il, voilà que je vais faire couic

Et puis ce fut tout : les corps des forbans furent jetés à la mer.

On mit un équipage à bord de la goëlette, qui gagna Portsmouth avec le brick.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Le père de Narcisse Gelin dit quelquefois d’un air de supériorité à son voisin Jamot l’épicier : Mon fils le poète est aux îles… Il fait une fameuse fortune !

Depuis trois mois il attend une lettre de Narcisse.


eugène sue.