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VOYAGES DE NARCISSE GELIN.

entre deux marins vêtus d’un pantalon blanc, d’une veste bleue et d’un petit chapeau couvert d’une coiffe blanche, fort propre ; chacun était armé d’un sabre.

Il tourna la tête, le malheureux, et vit l’homme aux figures de cire accommodé comme lui, et ses six compagnons verrouillés et cadenassés de la même façon, soumis à la même surveillance.

Puis à une encablure de la goëlette, un beau brick de guerre, étroit, hardi, élongé, — pour le moment en panne, et portant à sa corne un large pavillon bleu, à croix rouge et blanche dans un de ses angles. — C’était le pavillon anglais.

— Pourriez-vous me dire, monsieur, dit Narcisse en s’adressant au gros homme, ce que tout cela signifie ?

— Tiens, cet autre !… Je n’y pensais plus… Cela signifie, mon garçon, que dans un quart d’heure… mais, dis-moi, tu vois bien les vergues de ce brick

— Qu’entendez-vous par les vergues ? fit gravement Narcisse…

— Ah ! l’animal !… — Ce bâton qui croise le mât en travers… Comprends-tu ?

— Je comprends.

— C’est heureux. — Vois-tu au bout de cela un homme accroupi, à cheval sur ce bâton… ?

— Je vois l’homme accroupi.

— Sais-tu ce qu’il fait ?

— Je ne sais pas ce qu’il fait

— Il arrange une corde.

— Pour… ?

— Pour… pour nous pendre.

— C’est-à-dire…, pour vous pendre… vous, mais pas moi.

— Ah ! c’te farce…, toi comme nous, donc ; tiens, est-il bégueule celui-là !

— Je ne suis pas bégueule, mais vous comprenez bien, mon cher ami, que cela ne peut pas être, vous êtes des pirates, à la bonne heure, mais je ne suis pas pirate, moi ; je m’appelle Narcisse Gelin, poète connu et domicilié à Paris, passager à bord, et pas du tout de votre bande…