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fumées : oh ! qu’il regrettait ses bergers et leurs flûtes, et leurs danses, et leurs chants, et la violette, et le corset des jeunes filles, et la cloche du soir, et le bêlement des troupeaux, et la nuit paisible et pure du joli village qui se mire aux eaux limpides du lac !…

— Oh ! disait Narcisse en se roulant dans sa couverture avec un frisson prodigieux… oh ! voilà une poésie vraie, douce et consolante ! oh ! que je donnerais maintenant les vagues les plus monstrueuses pour un petit ruisseau qui glisse sur le sable, — les figures les plus tannées, les plus cicatrisées, pour une douce et gracieuse figure d’enfant ou de jeune fille… — un ciel noir, orageux, fût-il sillonné de mille éclairs, et déchiré par les éclats de la foudre, pour le ciel pur et riant du mois de mai, au lever d’un beau soleil.

De pensées en pensées, de peurs en peurs, de regrets en regrets, Narcisse gagna le point du jour. Il commençait à voir sa position en face. — Que vont-ils faire de moi ? se disait-il…

Il allait peut-être se répondre à lui-même, lorsqu’un coup de canon retentit longuement sur l’immensité de la mer…

— Qu’est-ce que cela ? pensa Narcisse ; je n’ai pas vu de canon à bord…

Un bruit sec, accompagné d’un sifflement assez aigu, l’étonna bien davantage, surtout quand il vit un boulet d’une jolie taille entrer par le flanc du bâtiment, ricocher sur le plancher, du plancher au plafond, et du plafond aller se loger à moitié dans le bord opposé…

— Je suis perdu, dit le poète, les dents serrées, en s’évanouissant de terreur.


CHAPITRE III.


Ce qui advint à Narcisse Gelin, et comment il eut de terribles sujets de stupéfaction.

Quand Narcisse Gelin revint à lui, il était au grand air, sur le pont de la goëlette, les fers aux pieds et aux mains, placé