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à ma vingt-et-unième année de navigation, et excepté quelques petits coups de vent par-ci par-là, j’ai toujours été favorisé de temps superbes… de temps magnifiques.

— Que le diable t’étrangle, toi et tes temps superbes, — pensa Narcisse, malgré le peu de logique de ce souhait.

— Si nous partions au mois de février ou mars, je ne dis pas, nous aurions bien à craindre quelque petite queue d’équinoxe, mais au mois de juillet !… ajouta-t-il avec un air de joyeuse et intime conviction ; ah ! mon Dieu !… au mois de juillet… vous ne vous apercevrez seulement pas que vous avez quitté la terre…

— Comme c’est agréable, pensa Narcisse. Aussi, prenant son parti violemment : — Ne pourrai-je pas débarquer de votre bord, monsieur ? demanda-t-il au capitaine.

— Dieu du ciel ! et pourquoi ? Où trouverez-vous un meilleur navire, monsieur ? Et quel équipage ! Des Bas-Normands doux et rangés comme des filles ! ça se mène avec un fil ; jamais un mot plus haut que l’autre, c’est sage et tranquille, jamais ça ne jure… Voyez-vous, pour la morale ou non, j’ai mes principes là-dessus, et je m’en suis bien trouvé ; aussi est-ce moi qui ai toujours à passer les religieuses que le gouvernement envoie aux colonies, et je vous assure que les saintes filles n’ont jamais eu à rougir d’un mot inconvenant…

— Allons… il ne manquait plus que cela, dit impérieusement Narcisse…

— Sans doute, monsieur, je vous le répète, pour les égards, la sûreté, la tranquillité et les bonnes mœurs, vous ne trouverez jamais mieux que la Cauchoise… Aussi croyez-moi, restez-y. — D’ailleurs votre passage est arrêté, payé d’avance, signé ; il me serait impossible de vous rendre un sou de ce que vous m’avez donné. — C’est la loi maritime. Si vous voulez voir les ordonnances…

— Non, monsieur, c’est inutile, dit Narcisse atterré, foudroyé. — Le mal est fait, je le subirai, mais c’est une leçon dont je profiterai… Et comme le capitaine Hochard allait recommencer ses litanies sur la sûreté, les égards et la politesse…, Narcisse re-