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REVUE. — CHRONIQUE.

Est-ce donc dans un temps pareil au nôtre, dans un temps où toute la vie se dévoue à deux idées, ennemies acharnées des passions joyeuses et naïves, la richesse et le pouvoir, qu’il convient de fouiller Brantôme et Rabelais ? Je ne le crois pas. Les grands poètes, qui ne vont jamais sans une haute raison, l’ont bien compris. La comtesse de Turgis est presque chaste au moment même où elle renverse les flambeaux et prend son poignard pour couper ses lacets.


Essai historique sur la peinture sur verre, par M. E. H. Langlois.[1] L’Égypte confiait ses souvenirs au marbre et ciselait dans le roc les légendes des anciens âges ; la Grèce et Rome immortalisèrent leur puissance dans des écrits plus durables que le marbre ; le moyen âge vint à son tour, saisi de la même passion de parler à la multitude, et de jouer un rôle dans l’avenir, mais ignorant avec délices, et long-temps inhabile à manier le ciseau, ce fut sur le verre qu’il écrivit son histoire. Sur un verre fragile, il se plut à répéter la confession de ses croyances, la représentation fidèle des illustrations contemporaines, la peinture naïve des mœurs, les détails minutieux de la vie privée, puis tous ses frêles monumens qui portaient sa mémoire, il les exposa dans ses temples, et les commit à la garde de Dieu.

Ces verrières, comme les initiés ont continué de les appeler, étaient le palladium de nos pères, et l’objet chéri de leur vénération. Les évêques seuls et quelques lettrés savaient lire, et le clergé qui avait tout intérêt à conserver le précieux dépôt de cette ignorance ne délivrait des idées au peuple que de compte fait, et en les faisant représenter sur les vitraux des abbayes et des cathédrales, car alors il y trouvait son compte.

Une verrière nouvelle et habilement travaillée attirait long-temps la foule, et faisait souvent la fortune d’une abbaye : il y avait sous la verrière un tronc pour… les âmes du purgatoire. Ce tronc expliquerait les encouragemens que les évêques et les hauts dignitaires ecclésiastiques ont toujours donnés à cet art, si on n’en trouvait une raison suffisante dans leur zèle pour notre sainte religion. Ainsi tel chapitre métropolitain qui ne donnait que deux harengs à l’acteur chargé du rôle de Jésus dans le mystère du vendredi saint, votait par acclamation en 1384, en faveur de Guillaume Canonce, artiste habile, une somme de trente-deux sous pour huit jours de travail et trois sous par jour pour son serviteur. De telles libéralités, et par-dessus tout le suffrage populaire plus cher aux artistes que la faveur des grands, ne tardèrent pas à exciter une noble émulation et à multiplier les talens.

De-là ces chefs-d’œuvre oubliés de nos jours, où il faudrait cependant chercher toute l’histoire de l’art. En effet, les miniatures des missels et livres d’heures, souvent exécutées par des moines ignorans ou par des religieuses, n’ont que le mérite d’un travail de patience, les fresques sont détruites, et les anciens tableaux à l’huile ou à l’eau d’œuf sont presque illisibles, le verre seul a gardé tout l’éclat des premiers jours.

  1. 1 vol. in-8o, orné de sept planches ; à Rouen chez Édouard Frère ; à Paris, chez Jules Renouard.