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VOYAGE DES FRÈRES LANDER.

sorte que nos hommes s’étant munis de longues perches, et s’en servant en guise de canne, parvinrent non sans peine et sans difficulté à franchir cet obstacle avec nos bagages. Il y eut même moins d’accidens que la nature du terrein ne nous en avait fait craindre. Pour ma part, je passai sur le dos d’un grand et robuste nègre d’une force surprenante. Il me porta sur ses larges épaules sans paraître éprouver aucune fatigue, à travers le marais et l’eau, marchant tout le temps sur des branches d’arbres pas plus grosses que la jambe d’un homme, et que la vase rendait glissantes. Bien qu’il ne le cédât pas en vitesse à ses compagnons, et qu’il n’eût pas un moment ralenti le pas, il ne me déposa de l’autre côté qu’après vingt minutes de marche, le marécage ayant, autant que nous en pûmes juger, un bon quart de mille de longueur. Nous nous rendîmes ensuite à un petit village appelé Basha, d’où sans nous arrêter, nous continuâmes notre voyage, traversant vers quatre heures de l’après-midi un autre village un peu plus grand, qu’on nomme Soatou. Là nous nous sentîmes tellement épuisés par la fatigue et le manque de nourriture, que nous fûmes forcés de nous asseoir et de prendre un peu de repos.

Jeunes gens nus et chefs tatoués, tous admirent nos costumes, nos teints, nos gestes. Mais c’est bien la race la plus discourtoise, la plus rustique, et ils nous ont tellement harassés par leur grossièreté et leurs habitudes mendiantes, que nous nous sommes trouvés heureux de nous en débarrasser en décampant. Ayant traversé deux autres marécages de la même manière que le premier, nous étions si complètement épuisés, qu’il n’y a pas eu moyen de pousser plus loin. Nous avions marché tout le jour, dans un misérable sentier épineux, tantôt en plein soleil, tantôt nous frayant une route à travers les bois et les broussailles. Il est maintenant six heures du soir. Nos gens sont allés à la ville voisine chercher les chevaux qu’Adouly nous avait promis hier, et mon frère et moi reposons sous un bouquet d’arbres près d’une flaque d’eau stagnante, où des femmes se baignent en jetant sur nous de longs regards de côté. C’est un endroit bas, marécageux, malsain, et très-probablement nous serons obligés de coucher sur l’herbe cette nuit : qu’y faire ? Le village, il est vrai, n’est qu’à quelques milles en avant, mais nous sommes hors d’état de faire un pas de plus.

(Samedi, 3 avril). Nous avions fait du feu avec du bois mort et des feuilles sèches, et nous étions préparés à passer la nuit sous la voûte des arbres, étant déjà tous étendus de notre long sur l’herbe, quand nous avons été agréablement surpris par l’arrivée de quatre de nos gens, apportant des hamacs du village voisin ; car, bien que dormir en plein air, ayant le ciel pour dais, pour rideaux un bois sombre, et tout ce qui s’ensuit, puisse être, en description, la plus charmante chose du monde, rien n’est plus désagréable en réalité. Les fourmis, les vers noirâtres, les chenilles qui rampent sur votre visage, ont bientôt dissipé les rêveries les plus délicieuses. Les hamacs ont donc été très bien accueillis, et c’est avec un doux sentiment de reconnaissance et de voluptueux bien-être, que nous nous sommes sentis enlevés dedans. Quel plaisir, après un long jour de marche, que d’être transporté ainsi à dos d’homme, de voir les perroquets et autres oiseaux graves, à physionomie solennelle, vous regar-