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core. Le baron avait cependant l’habitude de partir au point du jour. Je battis à sa porte ; je l’appelai : il ne me répondit pas. Son valet-de-chambre vint battre à son tour. Toujours le même silence. On fut forcé d’enfoncer la porte. Nous trouvâmes le baron sans vie, étendu sur le carreau, la gorge ouverte et saignante, un rasoir à la main. Plus loin un réchaud de charbon allumé, qui remplissait la chambre d’un air fétide et irrespirable. Des débris de bois et de divers métaux jonchaient la terre. Je reconnus avec douleur, dans ces débris, l’objet de tous mes vœux, le but de tous mes rêves, la merveilleuse et fatale machine aux jets de feu. J’ouvris avec précipitation une lettre à mon adresse, que je trouvai sur la table. Elle était conçue à-peu-près en ces termes :

« Monsieur Vilshofen, je vous l’avais dit, il faut nous séparer. Il ne m’est plus possible de supporter une existence où je n’ai pas un désir à former, pas une espérance à conserver. Si le calcul de mes médecins est juste, j’avais encore trois mois à vivre. Ce terme est trop long pour moi. Adieu, j’emporte le secret de ma vie et de ma puissance : ce serait trop me venger de vous, que de vous léguer mon sort. »

Quelques sommes assez importantes, que le baron laissait en portefeuille, m’étaient données par lui dans un codicille, qui suivait la lettre. Revenu de ma fièvre et de ma monomanie homicide, je partageai une partie de cette somme entre les pauvres de la ville et les domestiques du baron. J’employai le reste, j’ai honte de vous l’avouer, messieurs, à recommencer le travail de Braunsberg le charbonnier. Pendant quatre ans d’un travail opiniâtre, je poursuivis cette tâche avec une foi aveugle, qui tenait du fanatisme. À la fin, exténué de fatigue, pressé par la plus horrible misère, désespéré par d’infructueux essais, je me ressouvins de ce que j’avais été autrefois. Je quittai mes fourneaux ; je repris la robe noire au barreau de Goettingue, je redevins un homme enfin, et je ne me rappelle plus ces temps de folie et de délire que pour conter à mes amis l’histoire de Braunsberg le charbonnier. »


alphonse royer