Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
REVUE DES DEUX MONDES.

et incessante dans laquelle nous tourbillonnions depuis six mois, le visage du baron prenait de la couleur et de l’embonpoint. L’horrible toux, qui m’avait tant effrayé à Londres, dans son hôtel, au coin d’un feu mordant de charbon de terre, cette toux opiniâtre s’était éventée au grand air. Nous l’avions noyée dans le vin de champagne, ou plutôt elle était retournée peut-être auprès de nos docteurs, comme un fonctionnaire à demi-solde, en disponibilité. Enfin le baron était devenu gros et gras pour un phthisique, presque frais et supportable ; mais, avec la santé du corps, la santé de l’âme ne lui était pas revenue. Son humeur prenait chaque jour une teinte plus sombre. Il avait épuisé tous les plaisirs, toutes les jouissances, tous les bonheurs. Rien désormais ne pouvait plus ni le séduire ni le flatter. L’ennui, la satiété dévoraient sa vie. Il me dit un jour dans un accès de spleen : « Je donnerais un million pour avoir un désir à former. »

Le baron n’avait pas jeté les yeux depuis long-temps sur son calendrier : il le prit un jour machinalement entre ses mains.

— Encore cinq mois à vivre, dit-il en soupirant. Non ! non ! cela n’est pas possible. Et il rentra dans une sombre rêverie.

Je pensai que c’était un regret qu’il jetait sur la vie, parce qu’il croyait à l’infaillibilité de la doctrine. Je me hâtai de le rassurer, en lui jurant que les médecins s’étaient trompés, et qu’à mon avis, la nature avait plus de puissance et d’infaillibilité que l’art.

— Vous croyez ? interrompit le baron, en accompagnant ces mots d’un sourire d’ironie.

Je sus plus tard que j’avais mal lu dans sa pensée.

Cependant le spleen du baron augmentait chaque jour. Je craignais que, la consomption s’emparant de lui, il ne finit par donner raison aux facultés de Londres et de Paris. Je craignais surtout qu’il ne mourût sans que j’eusse découvert le secret et la source de ses richesses ; car je commençais à ne plus douter qu’un agent chimique, inconnu au reste du monde, fit tout le fond de sa magie. J’avais remarqué que, depuis quelque temps, son imagination volcanisée délirait dans le sommeil. J’avais surpris quelques mots, qui m’avaient révélé les prolégomènes de confi-