Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
BRAUNSBERG LE CHARBONNIER.

clairs de sa maîtresse. Leurs lèvres s’effleuraient, mais aussi délicatement que le vent touche les brins d’herbe dans une prairie étoilée de marguerites.

Ces baisers firent naître un sourire sur les lèvres pincées du baron. Il ne voulut quitter la trace des deux amans que lorsqu’il sut au juste à quoi s’en tenir sur la nature de leur liaison. Il faisait une soirée d’été magnifique. Nous avions pour tapis un gazon vert et touffu ; la lune était discrète comme un réverbère de Paris, ou comme le lustre de votre Théâtre-Français. Les amans ne nous aperçurent pas.

— C’est une belle chose que l’amour, dis-je au baron, en remontant dans la voiture qui nous attendait au coin de la grande allée.

— Oui, répondit-il, voilà une femme digne de moi.

Je ne pus m’empêcher de sourire de cette fatuité financière, et j’osai porter à ce sujet un défi au baron. Malheureux que j’étais ! je ne prévoyais pas ce qui devait arriver tout exprès pour me servir d’enseignement. J’ignorais la fragilité de cette illusion qu’on appelle amour ; brillant papillon à qui, dans ma brutale agacerie, je venais de casser traîtreusement les ailes.

Le lendemain de la célébration nuptiale, le baron prit dans une cassette une poignée de diamans, parmi lesquels il choisit les moins gros et les moins étincelans. Ils étaient cependant d’une grande beauté, et je vous assure qu’ils n’eussent pas déparé le joli cou de satin d’une marquise ou d’une princesse. Il y avait d’énormes diamans dans cette boîte qui contenait, sans aucun doute, une valeur de plusieurs millions. La vue de ces trésors me donna une espèce de vertige. Le baron remarqua le mouvement nerveux que je fis involontairement ; il eut peur, et s’éloigna de moi. J’eus honte de moi-même, je plaisantai sur la frayeur du baron, mais je baissai la tête, et je compris dans ce moment, qui fut plus prompt que l’éclair, je compris une grande partie des sales passions qui rongent incessamment l’âme humaine. Ce baron était comme un satan qui m’avait fait entrevoir le fond de l’enfer. Dès-lors je jugeai que la jeune femme et son amour étaient perdus.