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BRAUNSBERG LE CHARBONNIER.

fatiguer des contes à dormir debout qu’il venait d’entendre. M. Ulric Vilshofen, avocat de Goetingue, ôta sa casquette, déposa sa pipe sur la table, et demanda la permission de raconter une histoire dont il pouvait, disait-il, garantir l’authenticité, puisqu’elle s’était passée sous ses yeux ; il avouait cependant que son histoire était d’une grande invraisemblance. Après que nous l’eûmes entendue, nous demeurâmes tous de son avis. Voici à-peu-près en quels termes M. Ulric Vilshofen nous conta l’histoire de Braunsberg le charbonnier :


Au mois de juillet 1824, je me trouvais à Spa où je m’étais rendu avec plusieurs camarades de l’université, non pour prendre les eaux, mais pour nous divertir. Les bains du Tonnelet, les sources de Pouhon et de la Sauvenière, nous virent fort rarement grossir le nombre des buveurs pendant le court séjour que nous fîmes à Spa. Le jeu absorba lui seul nos jours et nos nuits. Nous perdîmes tout notre argent comme c’est l’usage, et à peine quinze jours s’étaient-ils écoulés depuis notre arrivée que nous annonçâmes notre départ.

— Mais avez-vous bien visité les environs ? me demanda un grand monsieur fauve que j’avais remarqué comme un homme extrêmement heureux aux cartes. Je gagerais que vous n’avez pas vu la cascade de Coo et le vieux château de Franchimont. Vous avez tort de partir si tôt. Je vous montrerai de superbes points de vue que vous ne soupçonnez pas ; vous regagnerez votre argent à la bouillotte ou au pharaon. Vous jouez bien la bouillotte, vous jouez très bien ! Il est vrai que jusqu’ici vous avez toujours eu du malheur ; mais votre tour viendra ! Prenez patience et restez-nous.

Je m’excusai de mon mieux, et prétextai des affaires qui me rappelaient à Goetingue.

— Au moins, interrompit un jeune fashionable en faisant tourner son lorgnon entre ses doigts, vous irez faire visite au curieux personnage que nous possédons. Je suis sûr, M. Vilshofen, que vous n’aurez jamais rien vu de semblable. C’est un savant, un fou, un maniaque qui passe sa vie à brûler des sacs de charbon.