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Cependant M. Guizot, porté subitement au pouvoir, constant objet de ses affections et de ses poursuites, dans la position la plus belle et la plus neuve qu’ait jamais occupée homme d’état, ne put pas méconnaître le changement éclatant qui avait déjoué ses prévisions ; historien pénétrant, politique attentif, comment n’eût-il pas apprécié la portée d’une catastrophe si nouvelle ! Je ne crois pas que le coup-d’œil lui ait manqué, mais la résolution ; il a dû comprendre, il a dû même, pendant quelques momens, vouloir se faire l’agent de cette rénovation politique, l’homme d’état de cette révolution populaire : il a dû entrevoir tout ce que lui offrait d’avenir un parti tranché pris à-propos ; il n’a pas osé ; il a manqué à sa fortune, faute irréparable pour lui ; il a jeté des embarras dans celle de la France, et long-temps encore nous pâtirons de ses erreurs.

Alors, quand, obsédé par les habitudes de sa vie passée, envahi par la contagion de son entourage, il eut perdu l’illumination soudaine qui a dû traverser son esprit, courte apparition dont il fallait profiter, il revint entièrement à ses premières doctrines, et retomba le même homme qui s’était ingéré de fonder le pouvoir en 1814. Une fois engagé, il s’entêta. Irrité par les difficultés d’une situation qu’il ne pouvait gouverner, par l’opposition ardente qu’excitait sa conduite, il employa son talent et son esprit à combattre et à dénaturer les principes de la révolution : c’est ainsi que nous l’avons vu à l’antique légitimité vouloir substituer une légitimité nouvelle, intermédiaire, doublure retournée du vieux manteau royal, et déplorer l’origine révolutionnaire du pouvoir récent comme un malheur, au lieu d’y voir son titre. Si on lui répond qu’une semblable politique suscitera à l’autorité, si jeune encore, une dangereuse impopularité, il répondra que les gouvernemens doivent être impopulaires ; il se chargeait sans doute de procurer au sien cet avantage. Si on invoque des théories de liberté, des passions d’honneur national, M. Guizot répliquera qu’on ne gouverne ni avec des théories ni avec des passions, c’est-à-dire, apparemment, qu’on doit gouverner sans l’intelligence et sans le cœur. Désormais cet homme d’état, s’armant d’une légèreté-hardie, ne se