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jour du mois d’août 1569, et qu’il mourut, en tout, soixante-et-dix mille personnes. Camoens trouva donc les eaux du Tage fermées et défendues avec beaucoup de rigueur. Pendant cette quarantaine qui dura plusieurs mois, il vit son ami Heitor da Sylveira tomber malade et mourir en vue de Cintra. Enfin Diogo do Couto, qui était dans le Santa Clara, parvint à débarquer seul (avril 1570), et obtint de la cour qu’on permît à la flottille l’entrée du port. Ce fut vers le mois de mai 1570, dix-sept ans, deux mois et quelques jours après son départ, que Luiz de Camoens rentra dans Lisbonne[1]. Il avait alors quarante-six ans.

Il trouva cette ville dans un état bien différent de celui dans lequel il l’avait laissée. La peste avait décimé toutes les familles ; les intrigues inséparables d’une régence avaient tout brouillé. Le roi, majeur depuis deux ans, gouverné comme notre Louis xiii par de jeunes favoris et par des prêtres, brave comme lui de sa personne et méditant déjà sa malheureuse expédition d’Afrique, répandait sa tristesse mystique sur sa cour et sur le royaume. Ce n’étaient plus cette joie, cette urbanité, ces fêtes qui prouvaient la vigueur et la santé de l’état ; tout lui parut attristé, rapetissé, penchant vers la tombe : ce fut sans doute à la vue de cette décadence et de ce marasme, que se rappelant le passé, il composa cette magnifique épitaphe pour le tombeau de dom Joâo iii.

SONNET LXIX.

« Qui gît dans ce grand sépulcre ? Quel est celui que désignent les illustres armoiries de ce massif écusson ? rien ! car c’est à cela qu’arrive toute chose ; mais ce fut autrefois un être qui eut tout et qui put tout.

« Il fut roi et il remplit tous les devoirs d’un roi ; il fit avec un soin égal la paix et la guerre. Que la terre lui soit aussi légère à cette heure qu’il fut autrefois pesant au Maure.

« Serait-ce Alexandre ? personne ne s’y trompe : on estime

  1. Fr. Al. Lobo, p. 209.