Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
REVUE DES DEUX MONDES.

Les motifs du départ de Camoens pour l’Inde ne venaient pas tous de son amour. Les derniers mots qu’il prononça sur le vaisseau qui l’emportait loin de Lisbonne ne s’adressaient pas à sa maîtresse. Il nous apprend lui-même[1] qu’il s’écria comme Scipion : ingrata patria, non ossa mea possidebis[2]. Il est vrai que peu après il se plaint « d’avoir vu son lierre bien-aimé séparé de lui et attaché à un autre mur[3]. » Ce qui pourrait très raisonnablement faire supposer que sa maîtresse était mariée.

Il mit à la voile au mois de mars 1553. On lit dans un état des troupes de la maison des Indes pour cette année : « Fernando Casado, fils de Manoel Casado et de Branca Queymada, demeurant à Lisbonne, écuyer ; Luiz de Camoens, fils de Simâo Vaz et de Anna de Sà, écuyer, partit à sa place ; il a reçu 2,400 reis (environ 15 fr.) comme les autres. »

Camoens s’embarqua sur le Sâo Bento ; l’un des quatre navires que Fernando Alvares Cabral conduisait dans l’Inde[4]. À la hauteur du cap de Bonne-Espérance, ils furent assaillis d’une si violente tempête, que trois des bâtimens jetés hors de route ne purent arriver à Goa que l’année suivante. Le Sâo Bento y aborda seul en septembre 1553. Ce fut peut-être l’unique occasion où Camoens ait eu à se louer de la fortune.

À son arrivée, il trouva le vice-roi dom Afonso de Noronha occupé de préparer une expédition contre le roi de Pimenta ou de Chembè, qui avait pris plusieurs îles sur ceux de Cochin et de Porca, alliés du Portugal. Il obtint d’être admis sur la flotte, qui mit à la voile en novembre 1553.

Cette campagne, la seconde que faisait Camoens, eut un plein succès. Il y fait modestement allusion dans un passage de sa pre-

  1. V. Première lettre écrite de l’Inde.
  2. Valère Maxime rapporte ainsi ces paroles : Ingrata patria, ne ossa quidem mea habes.
  3. Cette phrase, comme beaucoup d’autres de la même lettre, est écrite en espagnol.
  4. Voy. Diogo de Couto, Dec. 6, L. 10, ch. 14.