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LUIZ DE CAMOENS.

pièces ont été composées avant que Camoens eût fait la rencontre de celle qui a été depuis l’occupation et la pensée de toute sa vie ; et même encore faut-il avouer que, pendant le cours de ce long et malheureux attachement, il lui est arrivé de tomber dans des distractions bien singulières. Les endechas adressées dans l’Inde à sa jeune esclave noire Barbara, sont un monument bizarre de la fragilité humaine[1]. Au reste, Camoens a tant aimé, il a si bien et si long-temps célébré celle qu’il préféra, que, s’il eût vécu au temps des cours d’amour, il n’aurait pu manquer d’être absous par elles.

On croit que ce fut un vendredi saint et dans une église, comme Pétrarque, qu’il devint amoureux. Lope de Vega, qui ne nomme jamais Camoens que l’excellent, et qui, au dire de Faria e Sousa dont il était l’ami, rafraîchissait souvent sa pensée par la lecture de ce grand poète, appuie cette tradition[2], fondée sur le soixante-dix-septième sonnet de Camoens. Faria e Sousa, en rapprochant cette pièce d’un passage de la septième cançao, a été jusqu’à vouloir prouver astronomiquement[3] que la première entrevue de Camoens et de sa maîtresse eut lieu le 11 avril 1542, apparemment quand il était encore au collège. Plus tard, dans une note de Cintra, Faria e Sousa se contente d’assurer que la rencontre se fit dans l’église das Chagas de Lisbonne[4]. Quant à moi, j’ai grand’peur que le sonnet lxxvii ne soit tout simplement une traduction des fameux vers de Pétrarque :

Era ’l giorno ch’ al sol si scolararo
comme il est arrivé à Camoens d’en faire quelques-unes.
  1. Voir encore, pour ses amours avec Barbara, l’ode x. Lord Stransford (Poems from the portuguese, London, 1803) appelle cette belle esclave Joanna.
  2. El culto celestial se celebrava
    Del mayor Viernes en la eglesia pia,
    Quando por Laura Franco se encendia,
    Y Liso por Natercia se inflamava.

    Liso et Natercia sont les anagrammes imparfaits de Luiz et de Catarina.

  3. No touro intrava, etc.
  4. L’église des Plaies du Christ.